mercredi 25 juillet 2012

Le commandement de la grâce

[O professor Andre Loverini é um biblista conhecido no meio academico evangéliico francês. Especialista em grego bíbllico, é um dos tradutores da Biblia Semeur. Estivemos juntos, o que acontece sempre que vou à Montpellier. Ele aceitou escrever para o nosso blog. Muito obrigado, querido mestre de Teologia, vida e ministerio. Jorge Pinheiro].

["Quelle joie c’est encore pour nous de vous avoir revus tous deux! Nous en savourons encore le bonheur avec une grande reconnaissance! Puisque tu m’as  proposé d’envoyer quelques études ou articles, je t’envoie celui-ci, qui a été publié dans le Lien Fraternel de notre Association. Il dit l’essentiel de ce que je pense. J’ai d’autres envois possibles... Je serais reconnaissant d’avoir ton avis, si, du moins, tu as le temps de me lire!
Colette se joint à moi pour vous dire toute notre affection en Christ." André Loverini].
Le titre de cet article aura peut-être surpris. Quand on parle de commandement, en effet, on pense loi. On ne pense pas grâce. Et pourtant... La grâce au commencement
Le commandement n’est pas premier. Les deux récits de la Création disent, chacun à sa manière, que l’œuvre de Dieu n’a d’autre source que son amour. Le point de départ, ce à partir de quoi tout commence, c’est donc la grâce, si nous entendons par là l’œuvre absolument gratuite de Dieu en faveur de sa créature. Il a préparé la Terre, pour en faire la demeure de l’humanité. En celle-ci, il a voulu trouver son « image », non pour jouir du plaisir égoïste que peut procurer un reflet, mais pour donner à des êtres qu’il a appelés à la vie la joie de lui ressembler. L’histoire de la création se conclut sur le verbe donner. « Je vous donne toute herbe qui porte sa semence... et tout arbre dont le fruit porte sa semence » (Gn 1,28). Ce don ne s’arrête pas au présent de l’herbe et de l’arbre, il s’ouvre sur l’avenir de la semence. Promesse de fidélité, sans autre motif que la grâce ! C’est toute la terre, enfin, que Dieu a confiée à l’homme comme à la femme, en leur disant : « dominez sur elle ». Grâce, évidemment : rien n’a été mérité, gagné ou conquis, tout a été donné.
Grâce encore au septième jour ! Le quatrième l’annonce : situé à égale distance du premier et du dernier, entre la lumière initiale et la paix qui clôt le récit, Dieu le choisit pour placer dans le ciel ces « lampes » dont l’un des rôles est de « marquer les fêtes ». Ainsi s’exprime son désir d’offrir à l’humanité, non seulement la régence terrienne, mais la relation aimante avec son créateur. La conclusion est ce jour sans fin, le septième, qui englobe notre histoire entière, y compris notre aujourd’hui, où ne cesse de retentir l’appel qu’a si bien compris l’auteur de la Lettre aux Hébreux : « aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur ! » (Hé 3,7.15 ; 4,7).
Grâce toujours, dans ce merveilleux récit de Gn 2 ! Quel soin Dieu ne prend-il pas de l’homme, en lui offrant le jardin d’Éden, et, déjà, en le pétrissant à partir d’une poussière inerte à laquelle il donne, par son souffle, la vie. Quelle attention que de l’avertir d’un danger possible, alors que tous les fruits du merveilleux jardin lui sont largement offerts! Quelle déférence que de lui laisser le soin de discerner, parmi tous les animaux, s’il est parmi eux quelque créature capable de lui être une « aide et un vis-à-vis » ! Et quel don que cette femme ! si proche et si différente, qui lui apporte ce qui lui manquait, et qui lui offre davantage et mieux encore : la possibilité d’aimer et d’être aimé. Et donc de ressembler à Dieu !
Grâce enfin, jusque dans la tragédie du troisième chapitre ! D’abord dans la délicatesse avec laquelle sont abordés les coupables, ensuite dans la promesse du libérateur (Gn 3,15b), enfin dans le don des fourrures (Gn 3,21) ! Ici apparaît la grâce dans des dimensions qu’elle ne présentait pas auparavant. À la bonté du projet, à la grandeur de la vocation, à la générosité des dons, viennent s’ajouter la compassion − le don des fourrures − et le pardon − la promesse faite à Ève. Au commencement, la Parole
« Au commencement était la Parole ». Par ces mots, Jean signale la participation du « Fils Unique » à l’œuvre de la Création. Il souligne, en même temps, un des points de notre « ressemblance » à Dieu : la parole. Cette ressemblance est une grâce au-delà de toute mesure. Car « Dieu est amour », beauté et bonté inégalables ! Lui ressembler : quel programme ! Mais comment pourrait-on lui ressembler sans aimer, sans aimer comme Lui ? Et comment aimer sans parler ?
Parler, c’est s’exprimer, et donc se dire soi-même, s’offrir en quelque sorte aux autres. Ainsi Dieu, qui « se nomme » à Moïse, s’est déjà nommé dans sa création, pour finir par se nommer en Christ. Jean ne nous dit-il pas, à propos de celui-ci, qu’il est « la Parole de la vie », et qu’en lui « la vie s’est manifestée » (1 Jn 1,1.2) ?
Dieu, le Vivant, a créé l’homme pour que celui-ci puisse vivre devant lui, et donc avec lui. Accordée à l’humanité, la parole va bien plus loin que les échanges utilitaires, si nécessaires soient-ils, qu’elle rend possibles. Elle nous permet en outre de dire le monde, à la louange de son Créateur. Elle est l’instrument de notre pensée, l’outil de notre savoir et de notre sagesse. Elle nous élève sur les ailes de la poésie. Grâce à elle, nous nous rencontrons les uns les autres, nous nous découvrons, et nous pouvons dire notre amour les uns pour les autres. Parler n’est pas seulement s’offrir aux autres, c’est s’ouvrir à eux : aimer, et pouvoir être aimé. Plus encore, la parole rend possible le dialogue avec Dieu. Ici apparaît l’un des aspects les plus extraordinaires (et pourtant nous le vivons dans l’ordinaire de nos jours) de la grâce divine. Non seulement nous pouvons entendre Dieu − s’il n’y avait rien de plus, notre rapport à lui ne pourrait être que celui de subordonnés à un chef, ou d’esclaves à un maître – mais nous pouvons lui parler. Le comble, c’est qu’il nous écoute. Si étonnant que cela puisse paraître, il se met, lui, à notre écoute ! Grâce encore, grâce toujours ! La grâce avant la Loi
La grâce est antérieure à la Loi. C’est « par la foi », et donc par grâce, qu’Abraham a été reconnu comme juste et cela bien avant qu’intervienne la Loi (Rm 4,13 et passim). Rien d’autre ne motive l’appel adressé au patriarche, pas plus que les promesses qui l’accompagnent (Gn 12,1-3). L’amour que Dieu lui porte est entièrement gratuit.
La Loi est venue avec Moïse. Elle est en elle-même une grâce. Elle devait aider le peuple élu à vivre. Mais, après la chute, la nature humaine en fait l’occasion du péché. Dès lors, la Loi peut faire naître en nous le désir de ce qu’elle interdit, nous plonger dans le désespoir de l’impardonnable culpabilité, devenir au contraire l’instrument qui nous permet de nous absoudre tout en condamnant les autres, ou bien nous priver de la liberté que nous a acquise le Christ. Certes, elle « est sainte et le commandement est saint, juste et bon ». Mais elle est impuissante : seule la grâce peut. La Loi nous condamne : seule la grâce pardonne. La Loi « qui devait nous conduire à la vie nous donne la mort » (Rm 7,10). Seule la grâce donne la vie. Nous ne pouvons vivre que par elle. Le commandement suprême.
À un Pharisien qui lui demande : « quel est, dans la Loi, le grand commandement ? » Jésus répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée : c’est là le grand, le premier commandement. Mais un second lui est semblable : ‘‘tu aimeras ton prochain comme toi-même’’ et il ajoute : « à ces deux commandements sont suspendus toute la Loi, et les prophètes » (Mt 22,35-40). C’est là le grand commandement. Ici se découvrent le cœur, le fond, la réalité à la fois première et dernière. Car de lui dépendent « toute la Loi et les prophètes », autrement dit : tout le message de l’A. T. et son accomplissement en Christ. Ce qui a inspiré la Loi et les prophètes, c’est l’amour de Dieu qui aboutit à la croix.
Ce commandement ne nous dit pas ce que nous devons faire. Il affirme ce que Dieu veut que nous soyons. Non pas des esclaves qu’on ne distingue guère des animaux ; non pas des serviteurs qui obéissent par peur ou par intérêt ; ni des mécaniques privées de toute liberté. Dans le commandement d’aimer, nous entendons, non pas la voix d’un souverain qui exige, comme il en a le droit, l’obéissance, mais celle du Dieu qui, toujours « a aimé le premier » (1 Jn 4,19) et qui veut que nous lui ressemblions.
Serait-ce à dire que nous hésitons à reconnaître la souveraineté de Dieu ?. Loin de nous une telle pensée ! Sans doute existe-t-il des exemples de souverains aimés par leurs sujets. Ce qui caractérise la relation entre un souverain et ses sujets, cependant, c’est le pouvoir, la force, la distance. L’amour n’y est pas nécessaire. Encore moins devrait-il être exigé. Or c’est lui qu’exige le commandement suprême. On pourrait même dire : il n’exige que l’amour. La plus haute exigence
À l’amour vertigineux de Dieu, on ne peut vraiment répondre que par l’amour, et par quel amour ! Nos textes nous le disent, qui convoquent « tout notre cœur, toute notre âme, toute notre force et toute notre pensée ». Un amour absolu, sans limite : le plus haut, le plus désintéressé, le plus intelligent, le plus énergique, le plus exigeant.
Pourquoi une telle exigence ? Parce que l’amour de Dieu a exigé davantage encore de lui-même. Parce qu’il est absolument gratuit, immérité, et ne trouve aucune justification dans les personnes qui en sont les objets. Dieu a aimé ceux qui ne l’aimaient pas, pardonné ceux qu’il aurait dû condamner. Il a accepté la mort du Fils bien-aimé en faveur de ceux-là mêmes qui étaient responsables de son supplice.
Aussi le commandement « tu aimeras le Seigneur » a-t-il plus de force que n’aurait simplement (si l’on peut dire) un ordre souverain. Il nous élève au rang de fils. Il nous introduit dans l’intimité même de Celui qui est amour. Il nous bouleverse, parce que nous découvrons ce qu’est l’amour dans sa vérité. Il nous place devant la croix, ou plutôt devant le crucifié. Crucifié pour nous. Ressuscité pour nous. Et qui a vécu pour nous. Nous sommes les bien-aimés de Celui qui est amour ! Sous le commandement, nous entendons l’appel de celui qui nous aime. La grâce pour vivre
Au légiste qui vient de lui citer « le grand commandement », Jésus déclare : « fais cela et tu vivras » (Lc 10,28). Tu vivras, en effet, parce que tu ne vis pas encore ! Et pour que tu vives vraiment, il faut que tu changes dans « tout ton cœur, toute ton âme et toute ta pensée ». Mais comment s’élever à une telle hauteur ? Comment devenir tels que nous ne sommes pas, tels que Jésus seul a été, tels qu’il est. Nous qui savons si mal aimer, comment pourrions-nous aimer ainsi ? Quel effort de la pensée, du cœur, de l’âme en serait-il capable ? Le commandement nous écrase, l’appel nous paralyse.
S’ouvre alors la porte d’or sur tous les possibles. Car ce que ni la chair ni le sang ne pouvaient, ce dont la loi était incapable, voici que cela nous est « donné ». L’amour, objet suprême du commandement, peut naître dans nos cœurs, non comme le résultat de nos pauvres efforts, mais comme le fruit de l’Esprit. Celui-ci n’habite-t-il pas en nous désormais ? Qui sommes-nous pourtant pour être les hôtes de Dieu ? Incapables, insuffisants, indignes ! Mais tellement aimés !
Le Saint-Esprit œuvre en nous, transformant notre intelligence, rectifiant nos erreurs, débusquant nos illusions, nous introduisant à la pensée de Dieu. Il éclaire à nos yeux les réalités du monde et le projet du Créateur. Il nous rend sensibles à la misère de notre prochain (fût-il le plus riche des humains !), il nous ouvre à l’amour fraternel (fût-ce pour le plus petit de nos frères). Il nous délivre de toutes nos idoles, même de celles que nous ne connaissions pas comme telles. Surtout, il nous découvre toute la profondeur de l’amour que Dieu nous porte, toutes les richesses de sa Parole, toute la noblesse de notre vocation. Ce qui nous était impossible, voici que nous apprenons, peu à peu, à le vouloir, à le désirer, à l’accomplir. Telle est l’œuvre du Saint-Esprit. Mais nous ne sommes pas encore parvenus à la perfection. Sous le poids de vieilles habitudes, devant les révoltes de notre « nature » et la pression du monde, nous nous tournons vers notre Père : « renouvelle-nous la grâce de ton Saint-Esprit ! renouvelle en nous un esprit bien disposé ! Apprends-nous à aimer ! Apprends-nous à t’aimer ! » La grâce pour finir
Tout est grâce dans nos vies en Jésus-Christ ! Et tout, dans nos vies, a pour but ultime de célébrer la grâce, de la manifester, d’en illustrer la suprême beauté. « Nous avons été choisis », en effet, « dès avant la fondation du monde, pour servir à la louange de la gloire de sa grâce ». Plus que la puissance, plus que l’intelligence, plus que la sagesse, plus que l’autorité – qui certes, chacune en son rang, méritent notre admiration −, plus que tout ce qui est au monde, la grâce de Dieu, qui a vaincu le péché, nos ignorances et nos révoltes, la grâce, généreuse jusqu’au sacrifice du Fils Bien-Aimé, peut inspirer nos vies et notre adoration. Elle est, par excellence, la gloire de Dieu.
C’est pourquoi le chrétien se sait libre ; libre de la liberté la plus belle : libre d’aimer vraiment. Aussi ne suit-il pas les principes du monde : il ne cherche ni les honneurs, ni le pouvoir, ni même la reconnaissance. Il donne sans esprit de retour, renonce aisément à ses droits, aime ceux qui le haïssent et bénit ceux qui le maudissent. Il vit selon la générosité de la grâce. Son modèle, c’est, évidemment, Jésus, l’agneau de Dieu, le Sauveur, le Seigneur. La grâce est la source et le couronnement de toute vie vraiment chrétienne. André Loverini

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