dimanche 25 février 2018

Notre mission est une mission radicale

Aujourd'hui, le 25 février 2018, j'ai prêché dans un temple des Cévennes, dans une ville appelée Vallerauges, au milieu des montagnes. Le temple a 500 ans. C'est un temple huguenot qui abrite une église méthodiste. Je remercie Dieu pour son affection. Imaginez comment Naira et moi étions heureux.


Notre mission est une mission radicale
Pasteur Jorge Pinheiro




 Texte

 « Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.  Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.  Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.  Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de pitié.  Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.  Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : “Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.”  Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ? » Le légiste répondit : « C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais de même. » Luc 10.29-37.

 À propos d’ouverture.

 Cette parabole est certainement une des plus célèbres de tout l’évangile. Nous ne parlerons pas en détail mais c’est d’elle que nous partirons pour traiter le thème qui nous a été proposé, au moins dans sa première partie. Vous vous souvenez que la question dont tout part est celle qui est posée par un spécialiste de la Loi : « Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » La question n’était pas parfaitement sincère puisqu’il nous est précisé qu’elle était posée « pour mettre Jésus à l’épreuve ». Hériter la vie éternelle : nous sommes bien ici dans le registre de la piété.

 Et Jésus renvoie celui qui l’interroge à la Loi : « Qu’est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? » (Quelle interprétation donnes-tu toi-même de cette loi que tu reçois comme ton autorité ?). Et le spécialiste de la Loi répond en citant des paroles de la Loi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même » (Deutéronome 6.5 ; Lévitique 19.18). Est-ce vraiment lui qui a rassemblé ces deux textes de la Loi ou avait-il entendu Jésus le faire ? Car, dans les autres évangiles, c’est Jésus qui donne ce résumé de la Loi. Toujours est-il que Jésus accepte pleinement cette réponse et en félicite même cet homme : « Tu as bien répondu ; fais cela et tu vivras ».

 Mais le but étant de mettre Jésus en difficulté, l’homme pose une autre question : « Et qui est mon prochain ? » Excellente question que nous nous posons souvent. On pourrait la formuler autrement : jusqu’où doivent aller mon amour et ma solidarité avec les autres ? À partir de quand puis-je, de façon légitime, cesser d’aimer ? Quelles sont les limites de ce commandement d’amour : ma famille, mes proches, mon peuple, certains peuples alliés ? Et c’est cette question qui va ouvrir la porte à la parabole elle-même.

 Vous vous rappelez certainement : Un homme passe sur la route qui va de Jérusalem à Jéricho et se fait agresser. Les bandits lui prennent tout, le rouent de coups et le laissent à moitié-mort. Plusieurs personnes vont passer sur la route et ne rien faire : un prêtre et un lévite, des gens très bien. Vient un samaritain qui s’arrête, prend soin de lui, l’amène jusqu’à l’hôtellerie la plus proche et va jusqu’à payer pour qu’on s’occupe de lui en affirmant même que si cela ne devait pas suffire, il est prêt à prendre en charge la suite.

 Peut-être sommes nous trop habitués à entendre et à lire cette parabole pour pouvoir la recevoir comme les auditeurs de Jésus l’ont reçue. Tout le monde, bien sûr, est juif : Jésus et ceux qui l’écoutent. Or, les deux personnes qui donnent le « mauvais exemple » sont tous deux des religieux juifs. Quant au samaritain, il est, pour ceux qui entourent Jésus, à la fois un hérétique - pire qu’un païen, puisqu’il a une certaine connaissance de la révélation - et une sorte de personne impure. Vous rappelez que les juifs faisaient parfois de longs détours pour éviter de se souiller en passant par la Samarie.

 S’il fallait retrouver un peu l’impact de la parabole, nous pourrions dire que les deux personnes qui passent sans rien faire à côté de celui qui a été agressé et laissé sur le bord de la route sont un pasteur et un prof de théologie évangéliques et que notre samaritain est un musulman maghrébin. Vous imaginez que Jésus fait alors éclater la question de la limite. Il n’y a pas de limite. Il ne s’agit plus de savoir qui est mon prochain et qui ne l’est pas, mais comment puis-je être le prochain de celui - quel qu’il soit - qui est dans le besoin. Donc, inséparable de l’amour de Dieu, nous trouvons un amour du prochain qui est concret, courageux et qui ne connaît pas de limites.

 La « mission radical » : un terme neuf pour qualifier aujourd’hui notre responsabilité de chrétiens dans ce monde. Un terme neuf pour une réalité ancienne, qui remonte à la mission même de Jésus et au message de l’ensemble de la Bible. C’est au sein de l’Alliance théologique d’Amérique latine, que ce terme est né. Il s’agit d’une compréhension renouvelée de la mission chrétienne qui englobe la proclamation de l’Evangile par la parole et sa démonstration par notre engagement dans tous les aspects sociaux et politiques de la vie.

 Le mot n’est pas dans la Bible, bien entendu... pas plus que ceux de « mission » et d’« évangélisation », qui est l’héritage d’une histoire « des » missions, dans laquelle la mission chrétienne consistait à quitter l’Occident « chrétien », à traverser des frontières pour porter l’Evangile dans des pays « païens ». Comme le relève un théologien indien (Vinoth Ramachandra), « ce concept, malgré ses faiblesses, a inspiré des milliers de missionnaires transculturels qui ont écrit quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de l’Eglise ». Mais cette vision réductrice de « la mission » était porteuse de dichotomies néfastes : entre Eglise d’envoi et Eglise d’accueil, entre ici et champ missionnaire, entre missionnaires et chrétiens ordinaires, entre vie de l’Eglise ici et mission au loin.

 1. Notre fidélité à Dieu.

 Vous comprenez que nous sommes déjà dans notre sujet. Notre fidélité à Dieu implique un amour dévoué à celui ou à celle qui est dans le besoin, que cette personne nous soit proche ou, comme dans la parabole, qu’elle nous soit à tous égards étrangère.

 Maintenant, si vous le permettez, je voudrais continuer la parabole. Nous ne sommes plus, je le reconnais, sur le terrain direct de ce que la Bible dit elle-même, mais sur celui de son interprétation. Imaginons que l’histoire continue.

 Le lendemain, un autre voyageur se fait agresser et n’a pas la chance de trouver ce bon samaritain qui, lui, a continué son voyage. Quelques jours plus tard, la même chose se produit. Que faire ? Si l’on veut suivre l’enseignement de Jésus et pratiquer cet amour concret, pratique et courageux, ne faudra-t-il pas essayer de résoudre la question de manière plus large ? Nous entrerons alors dans une dimension plus vaste. Nous passerons d’amour individuel à l’action sociale, voire politique. La motivation profonde sera exactement la même, mais cherchera à prévenir le problème plutôt que de soigner les blessures des voyageurs agressés. Ce passage de l’action individuelle et ponctuelle à une action plus large, collective et générale nous pose peut-être quelques problèmes. Nous ne sommes pas les seuls. Cela me rappelle une phrase de dom Helder Camara qui fut archevêque au Brésil. Il disait : « Quand je soulage la faim des pauvres, on dit que je suis un saint. Quand je demande pourquoi ils ont faim, on m’accuse d’être communiste ! » C’est que l’action peut parfois nous paraître suspecte et surtout aujourd’hui, où le politicien on si mauvaise presse et où nous sommes devenus si sceptiques devant tout action collective.

 2. L’exigence de justice.

 Il nous faudrait pourtant relire notre Bible. Dans le livre du prophète Jérémie, il est conseillé aux déportés de rechercher la paix de la ville où ils ont été exilés (29.7). Cette recherche implique la prière mais elle va bien au-delà. Et rappelez-vous le nombre de passages de la Loi ou des prophètes qui nous invitent ou qui invitent les rois ou les puissants à la justice. Le prophète Amos n’y allait pas par quatre chemins pour dénoncer les riches qui oppressent les pauvres et détournent la justice. Et c’est à la lumière de ces critiques que nous devons entendre l’exhortation bien connue du prophète Michée : « On t’a fait connaître, ô homme ce qui est bien et ce que le Seigneur exige de toi : rien d’autre que respecter la justice, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu » (Michée 6.8).

 La justice n’est pas fondamentalement différente de l’amour. Elle est la forme qui l’amour prend dès qu’il s’agit de plusieurs personnes. Lorsque qu’une seule personne est en face de nous, il nous est demandé de l’aimer. Mais lorsque nous sommes en présence de plusieurs et que les uns exploitent les autres ou les trompent, ce qui est attendu de nous, c’est la justice, l’équité. Il est clair que, dans l’ancienne comme dans la nouvelle alliance cette justice est au cœur du comportement chrétien dans la société et donc à la source de l’aspect de notre témoignage qui nous intéresse aujourd’hui.

"Je ne vous appelle plus serviteurs, parce qu’un serviteur n’est pas mis au courant des affaires de son maître. Je vous appelle mes amis, parce que je vous ai fait part de tout ce que j’ai appris de mon Père. 16Ce n’est pas vous qui m’avez choisi. Non, c’est moi qui vous ai choisis ; je vous ai donné mission d’aller, de porter du fruit, du fruit qui soit durable. Alors le Père vous accordera tout ce que vous lui demanderez en mon nom". Jean 15.15-16. 

 3. Les lignes directrices.

 Je voudrais citer trois principes, tirés de l’Écriture, qui me semblent essentiels pour qu’un engagement dans la société puisse être considéré dans une perspective chrétienne.

 A. La valeur de la personne.

 Tout être humain est créé à l’image de Dieu et c’est ce qui lui donne, dès la première alliance, sa dignité (Genèse 9.6, cf. Jc 3.9). Mais la nouvelle alliance nous révèle plus encore l’amour de Dieu pour chaque être humain. Il ne s’agit pas d’abord de peuples, de nations, de classes ou de races, mais de la personne  et de toute personne. C’est elle qui doit être la fin véritable de toute politique. Trop souvent, les lois de l’histoire ou de l’économie ont en la priorité et continuent de le faire. L’intérêt suprême du peuple idéal a pris le pas sur celui des hommes et des femmes réels qui ont été sacrifiés. Ou encore le bien de la personne d’après-demain a justifié l’oppression de celle d’aujourd’hui. Que devons nous placer en tête de nos valeurs : les lois de l’économie ou le bien des personnes ?

 B. L’attention particulière aux petits et aux pauvres.

 Cette priorité que l’on retrouve si souvent dans toute l’Écriture n’a pas pour fondement une vision romantique du pauvre qui serait supposé meilleur que le riche. Mais le pauvre est justement la personne dont la dignité ne s’impose pas. S’il faut prêter une attention particulière à la veuve et à l’orphelin, c’est parce qu’ils sont sans défense. Ils ont besoin de plus d’attention, car il est tentant et facile de les laisser de côté. Il n’est pas nécessaire de beaucoup d’imagination pour appliquer ce principe à nos société actuelles, aux pauvres de notre pays qui ne sont plus défendus par personne ou à ceux des pays du tiers-monde qui sont eux-mêmes, en tant que nations, dans cette situation d’extrême vulnérabilité.

 C. La recherche de la justice.

 Prêter attention à la personne vulnérable, ce ça le minimum de l’amour et son application concrète en ce qui concerne une société. Toute la révélation ne cesse de proclamer son importance. Cette recherche repose directement sur ce que nous venons de dire. La justice se mesure avant tout par le traitement réservé à ceux qui sont pauvres et sans défense. Nous avons tous un sens inné de la justice lorsqu’il nous semble que nous sommes victimes d’injustice. Mais nous sommes sujets à une étrange paralysie de ce même sens de la justice lorsqu’il va à l’encontre de nos intérêts immédiats ou simplement de notre confort. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.

 Quand nous pensons dans la justice, nous nous devons faire une question : est-ce que le chrétien est appelé à rechercher dans le domaine politique, pour le bien d’une communauté concrète, pas le Royaume ? Une communauté d’hommes et de femmes, aimés de Dieu et pécheurs, imparfaits et infiniment respectables. Se faire des illusions et ne pas tenir compte de la réalité conduite au mieux à des échecs, au pire à des drames. Il est toujours étonnant de voir avec quel réalisme les personnages les plus importants de la Bible nous sont présentés. Il n’y a aucune idéalisation même des plus grands hommes ou des plus grandes femmes de Dieu ; leurs faiblesses et leurs fautes sont aussi clairement présentées que ce qu’ils peuvent avoir de meilleur. Il est capital que ce réalisme demeure lorsque nous cherchons des solutions aux problèmes de nos sociétés.

 Considération finale.

 Une mission … radicale. Voilà quelques principes bibliques qui me semblent devoir baliser notre comportement dans ce monde. Il est clair qu’ils ne répondent pas à tous les problèmes et à toutes les questions que nous pourrons avoir, mais ils sont le socle sur lequel nous pouvons essayer de construire. Il n’y a là, au fond, rien de plus que le développement pratique de l’amour du prochain. Au moins d’une forme de ce développement. L’annonce explicite de l’Évangile en est une autre, de même que l’édification de communautés qui sont autant de lumières dans le monde. Mais précisément, nos communautés ne sont et ne seront des lumières dans ce monde que si elles essaient de manifester toutes les dimensions de la bonne nouvelle de l’amour de Dieu dont elles vivent.

 C’est cette idée d’une mission qui se situe en tous lieux, dans toutes nos activités, et dans la mise en pratique de tout ce que Jésus nous a enseigné, qui est à la base de l’idée de mission radical. Cet accent sur la globalité de la mission se conclut dans le texte de Matthieu par la promesse du ressuscité : « Et voici, je suis avec vous tous les jours » (Mathieu 28.20).

 Prendre en compte cette globalité des exigences de l’Evangile – qui mettent en lumière le lien constamment rappelé dans l’Ancien Testament entre respect de Dieu et respect de la justice sociale – représente un défi majeur dans notre monde globalisé d’aujourd’hui. L’annonce de l’Evangile n’a rien perdu de sa pertinence, mais ne nous dispense en rien de notre responsabilité face aux injustices criantes du monde, face aux ravages humains et environnementaux d’un développement basé sur le profit, face aux conflits qui continuent de déchirer notre monde. Telle est notre mission de chrétiens et d’Eglises, appelés à être pleinement engagés dans les affaires du monde, dans l’humilité et dans l’espérance que nous donne l’Evangile.

 Ce pourquoi Jésus dit :

 -- « Mon ami, va et toi aussi fais de même ».