jeudi 17 avril 2014

Calvino e o capitalismo -- visões

Calvin et le capitalisme


Dans quelle mesure Jean Calvin a-t-il contribué à l’essor du capitalisme? Pour le sociologue Max Weber, il ne faisait aucun doute que le calvinisme et sa théorie de la prédestination ont été un facteur clé dans l’essor du capitalisme, les fidèles voyant dans la réussite de leur activité professionnelle une confirmation de leur statut d’élus. Cette théorie a été battue en brèche, notamment par l’historien français Fernand Braudel.

La liberté et l’argent : calvinisme et économie

LA LIBERTÉ ET L’ARGENT:

Calvinisme et économie

Michel JOHNER*

Etablir un lien entre la liberté et l’économie, ou la liberté et l’argent, est une idée qui peut surprendre dans un carrefour de théologie. Le christianisme, et en particulier le protestantisme (avec sa doctrine de la justification par la foi seule), n’a-t-il pas développé une théologie du salut qui dénie toute relation entre le bonheur et l’argent, en situant le fondement de la liberté dans un au-delà (ou un en deçà) qui rend insignifiante ou, en tous les cas, très secondaire la question de l’argent ou de la fortune?

Il serait facile de proposer ici une sorte d’«anticonférence» qui mette en valeur toutes les paroles bibliques critiques sur l’argent: soit qu’elles fassent l’éloge apparent de la pauvreté ou du dépouillement1 ou, plus profondément, appellent à une forme d’indifférence par rapport à la question de la richesse et de la pauvreté2.

Mon propos ne sera donc pas de parler du rapport entre l’argent et la liberté, mais plutôt, à l’inverse, de celui de la liberté et de l’argent, en posant la question suivante: en aval de la justification par la foi, comment se manifeste la liberté chrétienne dans le rapport du croyant à l’argent, et pas en premier lieu dans le domaine de l’éthique individuelle (qui a déjà fait l’objet d’exposés, ici même3), mais dans celui de l’éthique sociale? Quelles sont les retombées de la profession de foi chrétienne dans le domaine économique?

Jean Calvin est souvent présenté comme étant le père du capitalisme, à la suite de la thèse célèbre de Max Weber4. La plupart des économistes, historiens et théologiens contestent aujourd’hui la pertinence de cette thèse, mais reconnaissent que Calvin a bien été le premier théologien à apporter la caution morale de l’Église à la pratique du prêt à intérêt, donnant ainsi au capitalisme une sorte de «bénédiction baptismale» qui a fortement contribué à son développement, notamment dans les pays protestants aux XVIIe et XVIIIe siècles. Sans être l’inspirateur du capitalisme, il est certain que le calvinisme a eu pour effet psychologique et spirituel de débarrasser le commerce et le rapport à l’argent de plusieurs des inhibitions qui les paralysaient dans la morale antérieure5.
I. L’éthique du travail dans le protestantisme

Protestantisme et prospérité économique

Il existe effectivement une certaine concomitance, dans l’histoire de l’Europe moderne, entre le protestantisme et la prospérité économique. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier, la carte des développements économiques de l’Europe épouse assez nettement les frontières des pays d’obédience protestante6.

Ce constat est unanime, autant de la part des partisans de la Réforme que de ses adversaires. Comme le fait remarquer A. Biéler: alors que les partisans de la Réforme vantent le goût du travail des puritains, qui aurait mis les peuples protestants en tête des nations industrielles, ses adversaires, comme le catholique Robert Beauvois, voient dans l’ardeur laborieuse des protestants et leur âpreté au gain l’origine du matérialisme ravageur qui aurait détruit le monde moderne7.

Où les opinions divergent, c’est dans l’analyse des raisons de cette prospérité. Tout a été dit à ce sujet, parfois par des auteurs aux partis pris très antiprotestants, ou par des auteurs plus nuancés, comme E. Todd, qui pensent que le dynamisme économique des protestants serait un accident imputable à des causes indirectes, comme le développement de l’alphabétisation de masse et de l’éducation, dont le protestantisme aurait profité à son insu. Selon lui, ce n’est qu’accidentellement que cette alphabétisation aurait eu, dans le protestantisme, des retombées économiques8.

Pour d’autres, comme A. Peyrefitte, ce dynamisme s’inscrirait dans la suite toute naturelle des développements économiques amorcés en Europe à partir du XIIIe siècle (à l’aube de la Renaissance). Et l’académicien de soutenir la thèse selon laquelle ce serait, en réalité, la Contre-Réforme qui aurait tenu les pays catholiques à l’écart de ce développement historique naturel. Le protestantisme ne serait pour rien dans sa prospérité9.

Ceci dit, il me semble essentiel, pour comprendre la prospérité économique des protestants, de pousser l’analyse en deçà des facteurs accidentels qui ont pu la favoriser ou l’accélérer, et de nous intéresser à la pensée religieuse spécifique au protestantisme.

L’ascétisme séculier ou «intramondain» des protestants

En effet, une des principales «révolutions culturelles» engendrées par le protestantisme concerne la théologie du travail et la dignité spirituelle des professions séculières, manuelles, artisanales, puis commerciales.

La particularité du protestantisme est d’avoir étendu à l’exercice des professions séculières la dignité spirituelle et religieuse qui, auparavant, dans la spiritualité catholique du Moyen Age, n’était reconnue qu’à la vocation des prêtres et des moines. Ce faisant, le protestantisme a atténué la distinction entre le religieux et le profane.

Les civilisations antiques, on le sait, n’ont pas eu beaucoup de considération pour le travail. Pour elles, travail rimait généralement avec servitude. Dès qu’elles l’ont pu, elles en ont fait la spécificité des esclaves10.

Dans la tradition biblique, en revanche, le travail a reçu, dès ses origines, une qualification positive. Avant qu’il ne soit altéré par la chute et ne devienne «labeur» (cf.Gn 1.28 et 3.17), il revêt une forme de dignité: le travail de l’homme s’inscrit dans le prolongement du travail que Dieu entreprend dans le monde pour l’entretien de ses créatures.

Mais en tradition chrétienne jusqu’à la fin du Moyen Age, le travail a été considéré comme une besogne temporelle un peu négligeable, n’ayant pas pour elle la dignité spirituelle reconnue aux exercices de piété et à la vie monastique. Le travail relève des contingences matérielles auxquelles il faut bien que certains hommes répondent, tant qu’ils ne peuvent pas s’en dispenser (le Tiers Etat). Le travail est rarement reconnu comme étant l’objet d’une vocation dont Dieu serait directement l’inspirateur et le bénéficiaire11.

C’est le protestantisme, Luther en tête, qui, parlant des professions séculières, utilise pour la première fois le terme «vocation» (Beruf en allemand, puis calling en anglais), avec tout son sens religieux. De ce point de vue, ce qui plaît à Dieu, plus que tout, ce n’est pas l’ascétisme des moines, mais l’exercice consciencieux de toutes les activités professionnelles dans la vie séculière12.

C’est ce que Weber a appelé l’«ascétisme séculier» des protestants (ou «ascétisme intramondain»). Avant la Réforme, dit-il, plus l’ascétisme s’emparait d’un individu, plus il l’expulsait de la vie courante et du monde du travail. Avec la Réforme, en revanche, ceci deviendra particulièrement évident dans le puritanisme, l’idéal ascétique est recherché à l’intérieur même de l’activité professionnelle13.

Certains auteurs parlent à ce propos de «désacralisation» du monde du travail, ou de «sécularisation», ou de «laïcisation», ou de «désenchantement du monde»14. Mais aucune de ces expressions ne nous semble adéquate. Car l’idée selon laquelle le travail séculier serait autonome part rapport à la religion est à l’opposé de ce que Luther a prêché! Le boulanger luthérien, lorsqu’il pétrit son pain, est au contraire habité par la conviction qu’il est ministre de Dieu dans son travail, et le glorifie au travers de son service autant que le prêtre. Donc, si le travail séculier reçoit une forme d’indépendance, dans la pensée protestante, c’est assurément une indépendance vis-à-vis de l’Église, à laquelle la dignité des professions n’est plus subordonnée, mais certainement pas une indépendance vis-à-vis de Dieu ou de la religion, tout au contraire!
Travail de Dieu et travail de l’homme

Calvin enrichira les thèses de Luther par l’affirmation que la dignité du travail de l’homme découle de son inscription dans le prolongement du travail de Dieu, qui est le premier et le plus grand travailleur. Au travers de son travail, l’homme est fait «collaborateur de Dieu», il est placé dans la position du gérant ou de l’intendant, appelé à mettre en œuvre et en valeur toutes les richesses de la création15. Par son travail, l’homme communie à l’activité créatrice et providentielle de Dieu (cf. Ps 8.4-8).

D’où, également, un lien essentiel, en morale calviniste, entre travail et sabbat. Il est regardé comme primordial que le travailleur se remette personnellement en condition devant Dieu, qu’il s’approprie lui-même dans la foi, et se réapproprie constamment les bénéfices de l’œuvre rédemptrice que Dieu a accomplie en sa faveur. Le travail, pour Calvin, n’est pas digne en soi, mais susceptible de le devenir, en se replaçant et en se maintenant dans la continuité du travail de Dieu, créateur et rédempteur16.

L’inégale dignité des professions séculières

S’il y a, chez tous les réformateurs protestants, réhabilitation de la dignité spirituelle des professions séculières, il y a divergence entre eux sur l’extension de cette réhabilitation. Dans la hiérarchie de la dignité des professions, Luther met en tête le travail des champs, puis vient le travail manuel, et ensuite le marchand qui vend ce qui est utile et nécessaire, mais il est difficile qu’un marchand soit «sans péchés», car il cherchera toujours à vendre sa marchandise «aussi cher qu’il le peut». Calvin met aussi à la première place les agriculteurs et les laboureurs «qui ont Dieu pour maître et docteur»17, mais étend ensuite cette reconnaissance aux professions commerciales et industrielles18.

D’où son intérêt direct pour la question du prêt à intérêt: pour cultiver son champ ou forger un outil, il n’est pas besoin de beaucoup de ressources ou d’avances. Mais il en faut davantage pour se livrer au commerce et à l’industrie. Comment se les procurer, sinon en les empruntant? D’où la seconde révolution opérée par le calvinisme dans l’économie politique: la doctrine du prêt à intérêt.

Providence et mobilité sociale

En 1Corinthiens 7, l’apôtre Paul exhorte chaque fidèle à demeurer «dans l’état où il se trouvait quand il a été appelé» (v. 20). Luther a fait de cette parole une interprétation assez littérale et conçu l’ordre social comme un ensemble d’états relativement immuables: chacun doit rester à la place où la Providence l’a mis. Pour Calvin, par contre, cette exhortation ne signifie pas qu’un fils de cordonnier ne puisse pas apprendre un autre métier, mais qu’il doit le faire uniquement s’il a de bonnes raisons (comme le bouvier Amos qui devint prophète ou le charpentier de Nazareth qui devint Messie)19. D’où une mobilité sociale plus évidente dans le calvinisme, vers les vocations meilleures et plus excellentes20.

Nouveau regard sur la fortune

Comme le dit A. Biéler, avant la Réforme, on était dans la logique d’une société hiérarchique et statique, dans laquelle les biens acquis, ceux dont on jouissait sans efforts, étaient considérés comme nobles et protégés, alors que les richesses nouvelles, créées avec effort (la richesse de la bourgeoisie) étaient facilement méprisées, voire spoliées21. Il est certain que, dans les pays protestants, cette échelle de valeurs a été renversée: les puritains, en particulier, dénonceront les dangers d’une «richesse thésaurisante» et le confort oisif qu’elle procure. Et ils valoriseront, par contraste, dans leur prédication, une dynamique d’enrichissements et de réinvestissements immédiats idéalement infinis22.

II. De la prohibition de l’usure à la légalisation du prêt à intérêt

Calvin, nous l’avons dit, a été le premier théologien chrétien à apporter la caution morale de l’Église à la pratique du prêt à intérêt. Sa hardiesse a été d’oser rompre avec une tradition judéo-chrétienne vieille de près de trois millénaires, qui soutenait unanimement la «prohibition de l’usure», autant les morales ecclésiastiques que politiques, même si elles ont toutes deux été capables de casuistiques assez subtiles, en particulier vis-à-vis des Juifs et des Lombards, pour obtenir d’eux les prêts financiers dont elles avaient besoin, ou par l’intermédiaire des «contrats de rentes foncières»23.

Par cette rupture, Calvin se démarque également des réformateurs protestants de la première génération, comme Luther et Zwingli, pour qui toutes les formes de prêts rémunérés restent proscrites et assimilées à l’usure, au sens négatif du terme24, à l’exception de Martin Bucer, qui partageait sur le sujet plusieurs des idées de Calvin25.
La prohibition de l’usure

Dans la morale chrétienne, la prohibition de l’usure était fondée sur quatre arguments principaux:

a.L’enseignement biblique. Alors que le prêt à intérêt était largement répandu dans l’Antiquité et le Proche-Orient ancien, il est fait interdiction, dans le Pentateuque, aux membres du peuple d’Israël d’exiger un quelconque intérêt de leurs frères26. Ils ne reçoivent cette autorisation qu’à l’égard des étrangers, ce qui explique qu’ils deviendront plus tard les banquiers du christianisme. C’est la fameuse «prohibition judaïque» que le Christ, dans le Nouveau Testament, aurait confirmée en ordonnant: «prêtez sans rien espérer en retour» (Lc 6.35).

b.L’enseignement des Pères de l’Église, parmi lesquels Jean Chrysostome, Ambroise, Augustin et Thomas27. Dépassant le particularisme vétérotestamentaire, les Pères ont donné à l’interdiction mosaïque une étendue plus large: les chrétiens ne peuvent faire aucun prêt rémunéré, ni à leurs frères chrétiens, ni aux étrangers. Cela créa au Moyen Age une situation plutôt «rocambolesque», puisque les banquiers du Vatican furent essentiellement les Juifs, qui, ce faisant, de leur point de vue, prêtaient à l’étranger et prenaient une liberté que l’Église interdisait aux chrétiens.

c. Ensuite, l’élément qui a sans doute pesé le plus grand poids dans l’argumentaire traditionnel: l’autorité reconnue par tous les Pères de l’Église, et Thomas d’Aquin en particulier, aux doctrines d’Aristote sur l’improductivité ou la stérilité de l’argent, suivant l’adage «l’argent n’engendre point d’argent».

d. A l’appui de l’interdit, on trouve enfin, dans l’histoire du droit canon, dès le IVe siècle (Nicée), comme du droit civil, un grand nombre de décrets interdisant l’usure, avec des sanctions parfois très lourdes, comme l’excommunication ou la privation de sépulture, et ceci jusqu’en 1576, sous Henri III, dans la période contemporaine de Calvin28.

La réflexion de Calvin

Calvin, avant d’être théologien, est humaniste et juriste de formation. Il est donc particulièrement bien préparé pour repenser cette question délicate.

C’est dans une lettre datée de novembre 1545, adressée à Claude de Sachins, seigneur d’Asnières, que Calvin justifie pour la première fois le prêt à intérêt29. Cette paternité a parfois été discutée entre Jean Calvin et le jurisconsulte Charles Dumoulin30. Mais c’est bien dans la lettre de Calvin à de Sachins, appelée plus tard Concilium de Usuris, que de nombreux historiens, à la suite de l’anglais Wiliam Ashley, voient le turning point de l’évolution économique européenne31. La proposition du réformateur est publiée à Genève, deux ans plus tard, en 1547, dans les Ordonnances ecclésiastiques, fixant le taux de l’intérêt à 5%32.

Il y a quatre ressorts essentiels dans sa pensée:

a. Calvin, tout d’abord, sur le plan herméneutique, remet en question l’interprétation traditionnelle de la législation vétérotestamentaire, en interprétant le précepte mosaïque comme une mesure d’ordre politique, provisoire et circonstancielle, destinée à rappeler aux Juifs leurs devoirs de charité au sein de la communauté, une mesure qui n’est pas exclusive d’autres formes de prêts, ceux qui n’ont rien à voir avec le devoir de charité33.

b. La plus grande originalité de Calvin, c’est d’oser pour la première fois distinguer deux types de prêts: le «prêt d’assistance» et le «prêt de production».

- Le «prêt d’assistance». Calvin ne conteste pas que, selon la loi biblique, celui qui peut venir en aide à son prochain dans la difficulté par prêt d’argent doive le faire de façon gratuite, sans prélever d’intérêts, dans le prolongement de la gratuité des relations que Dieu a établies avec lui: «Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement», dira Jésus (Mt 10.8). C’est la conviction commune à Israël et à toute l’Église: au sein de la communauté, dans la relation aux frères en difficulté, la loi d’argent doit s’effacer et le devoir de solidarité primer. En d’autres termes, ne pas donner à son prochain ce que la charité commande, ce serait commettre une injustice. Garder pour soi ce que Dieu a destiné au prochain, ce serait commettre un larcin34. Sur ce point, Calvin reprend à son actif toute la critique traditionnelle de l’usure.

Du reste, le droit de propriété, pour Calvin, et tout le christianisme avec lui, n’est pas absolu, mais relatif. Dans l’absolu, il n’y a qu’un seul propriétaire de toutes choses, c’est Dieu lui-même, Dieu qui, tout au plus, nous les prête, pour un temps, en nous plaçant dans la position du gestionnaire ou de l’intendant, pour une fin extérieure à notre profit immédiat: l’avancement de son règne35. Le prêt gratuit, c’est la juste réplique de l’homme au don gratuit que Dieu lui a précédemment fait36.

Sur la propriété, Calvin n’a pas non plus de pensée égalitariste, fondée sur «l’envie, cette sotte jalousie d’être égal»37. Toutefois, il rappelle que la solidarité du genre humain doit aussi s’exprimer par le partage des biens matériels, en vertu d’une idée de justice sociale dans laquelle est juste non seulement ce qui est conforme au droit positif, mais aussi ce qui découle de la charité.

- Le «prêt de production». Calvin constate que, si la Bible condamne l’usure là où devrait se manifester la charité, elle ne parle pas d’une autre pratique, qu’il appelle le «prêt de production»: le type de prêt qu’exige l’élargissement d’un marché, et qui n’entre pas dans le cadre du devoir de charité. Le prêt de production est le capital nécessaire à la mise en œuvre d’une nouvelle entreprise rémunératrice. Calvin considère qu’il est licite et juste que le débiteur alloue une part de son bénéfice à celui qui lui a permis, par son prêt, la réalisation de cette entreprise.

c. Calvin est le premier qui ose mettre en question la sacro-sainte doctrine thomiste (et aristotélicienne) de la stérilité de l’argent38.

d. Calvin, avec la sensibilité du juriste, veut prendre la mesure des conséquences négatives de l’interdiction complète du prêt à intérêt: favoriser l’hypocrisie des institutions (ecclésiales et politiques) et, surtout, favoriser l’usure clandestine, non contrôlée et redoutable dans ses effets, dont les taux ont pu culminer, aux périodes les plus critiques du Moyen Age, jusqu’à 53%39. Ce qui a fait dire à Auguste Lecerf qu’en légalisant le prêt à intérêt «Calvin a purifié l’atmosphère commerciale des ruses, des faux contrats et des restrictions mentales qui la déshonorent pendant le Moyen Age, parce que l’Église l’interdisait, tout en y ayant recours pour les besoins de la cause pontificale»40.

Les conditions de la légalisation du prêt à intérêt

Si les historiens sont prompts à rappeler que Calvin a été le premier théologien à légitimer la pratique du prêt à intérêt, ils oublient, pour la plupart, les réserves auxquelles le réformateur a soumis cette autorisation: l’éthique sociale rigoureuse, qui, à ses yeux, devait impérativement servir de garde-fou à l’exercice de cette liberté nouvelle41.

Parmi les sept conditions mentionnées par Calvin42, j’en citerai quatre, qui me semblent particulièrement intéressantes:

a. La première, déjà évoquée, c’est la distinction entre le prêt de consommation et le prêt de production. Il faut noter, toutefois, que cette distinction se révèle beaucoup plus théorique que pratique. Dans de nombreux cas concrets, il est bien difficile de dire où passe la frontière entre le prêt de production et le prêt d’assistance. Le principe est toutefois posé: le prêt à intérêt n’est pas légitime lorsqu’il est perçu par quelqu’un qui se trouve plongé dans le besoin ou dans la pauvreté. Il est proscrit chaque fois qu’il entre en concurrence avec le devoir de charité. Et le même taux d’intérêt (exemple 5%) peut être jugé honnête pour les échanges entre deux partenaires égaux, mais usuraire et injuste s’il est exigé de quelqu’un qui est dans la disette. La moralité va ici plus loin que la légalité43.

b. Seconde limite: l’intérêt ne doit pas être toléré si l’emprunteur n’a pas gagné, avec la somme prêtée, un montant supérieur à l’intérêt demandé44. On met le doigt ici sur la plus intéressante des remarques de Calvin: que celui qui emprunte fasse autant ou plus de gains que l’intérêt demandé. Comme s’il avait dit: la rémunération du travail doit passer avant celle du capital, ou qu’il doit y avoir au moins parité entre les deux. A Genève, ce taux fut fixé par les Ordonnances ecclésiastiques de 1547 à 5%, puis, plus tard, à 6,66 %.

La doctrine traditionnelle reprochait au prêt à intérêt de ne pas partager équitablement les profits et les risques entre le créancier et le débiteur: au créancier un profit quasiment assuré, au débiteur le risque de se retrouver ruiné45. En accord avec cette remarque, le prêt à intérêt auquel Calvin donne sa bénédiction constitue une forme de «contrat de société», qui a pour caractéristique de mettre en commun les bénéfices et les risques. Certains auteurs l’appellent «prêt participatif», dont l’intérêt se calcule en proportion non pas de la somme prêtée, mais du profit réalisé par l’emprunteur. Ce qui évite de ruiner une entreprise temporairement déficitaire.

Il n’est pas certain que tous ceux qui se réclament de Calvin pour légitimer le prêt à intérêt soient au courant de cette condition.

c. Autre idée de Calvin, extrêmement intéressante et totalement d’avant-garde par rapport à la réflexion économique de son temps: dans le cas du prêt de production, la société ne peut pas abandonner le choix du taux d’intérêt à la liberté privée. Ce taux doit être fixé par l’autorité publique et politique. Et cela sur la base de deux motivations essentielles:

- La conviction que les rapports d’argent incarnent toujours des rapports de pouvoir sur autrui qui sont redoutables, alliant, dit Calvin, «la cruauté tyrannique et l’art de tromper»46. Du fait de son emprunt, l’emprunteur est mis dans une position de faiblesse, il devient vulnérable et dépendant.

Pour la même raison, il a semblé essentiel au réformateur qu’en période de crise soit assurée, par l’autorité de l’Etat, une forme de contrôle des prix, afin d’éviter que les marchands fortunés ne stockent les biens de première nécessité et ne profitent abusivement de la situation. De telles spéculations, pour Calvin, seraient intolérables, et rien de moins que meurtrières.

- Calvin discerne que l’intérêt payé par le marchand devient ce qu’il appelle une «pension publique». Comme, au bout du compte, c’est le consommateur qui va le payer, le taux d’intérêt concerne aussi l’ensemble des consommateurs. La société doit, dit Calvin, veiller à ce que les contrats de prêts soient utiles aux intérêts communs47. Même s’il ne le fait que partiellement, Calvin, selon Biéler, est un des premiers à analyser l’incidence du taux d’intérêt sur la hausse des prix.

d. Enfin, dernier point, dont on a presque tous perdu la mémoire: Calvin s’est opposé à la professionnalisation du prêt à intérêt, comme à la professionnalisation des activités bancaires. Le chrétien doit veiller à ne pas se laisser dominer par la soif du gain et l’avarice. C’est pourquoi il ne saurait être question qu’il fasse du commerce d’argent un métier48. C’est pourquoi Calvin lui-même, en 1563, puis la Compagnie des pasteurs de Genève, en 1580, sous la conduite de Théodore de Bèze, se sont opposés à la création d’une banque à Genève49. Martin Bucer, de même, préconisait d’interdire la sainte cène aux «acheteurs de rentes»50.

III. La thèse de Max Weber

La question des rapports entre capitalisme et protestantisme a été posée, dans la période qui précède la Première Guerre mondiale, par les publications de Max Weber, professeur d’économie nationale (1864 et 1921), Ernst Troeltsch (1865-1923)51, ainsi que Ferdinand-Jakob Schmidt52, appelés parfois «école de Heidelberg». Leur objectif essentiel était de réfuter les analyses marxistes sur le rapport entre la religion et l’économie qui fleurissaient à la fin du XIXe siècle53.

Leur analyse fut rendue célèbre par l’ouvrage de Max Weber L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, publié en 1905, dans lequel l’auteur développe sa fameuse thèse sur l’affinité qui existerait entre l’éthos du calvinisme puritain et la mentalité de l’entrepreneur capitaliste54.

La «psychologie de la prédestination»

Il y a plusieurs considérations périphériques, dans l’analyse de Weber, qui sont sans doute les plus intéressantes, et il y a une théorie centrale et singulière, que l’on pourrait appeler une «psychologie de la prédestination», qui suscite les plus grandes réserves. Comme l’a dit un de ses «caricaturistes», selon Weber, le travail chez les puritains serait essentiellement un refuge contre l’angoisse de la damnation.

Gagner de l’argent, toujours plus d’argent, tout en se gardant strictement des jouissances de la vie, quel étrange programme! Et à quoi bon rechercher un gain qui doit être le moins possible consommé? Encourager quelqu’un à tout sacrifier au profit est déjà troublant. Mais le dissuader de le savourer à un quelconque stade du processus d’accumulation, voilà qui devient tout à fait insolite, ironise Weber55.

Pour comprendre, il faut dire un mot, ici, de l’ascétisme puritain, qui est une forme particulière de l’ascétisme séculier ou «intramondain» des protestants dont nous parlions plus haut. L’esprit puritain, en effet, s’est interdit de jouir de façon futile de la richesse qu’il a gagnée, notamment par l’achat d’objets de luxe ou toutes sortes de dépenses somptuaires (qui, de son point de vue, flattent l’orgueil et la vanité, mais ne glorifient pas Dieu). Pour cette raison, dit Biéler, le puritain, même fortuné, est quelqu’un qui peut s’imposer une vie très simple et d’apparence modeste. D’où un certain style de confort puritain que l’on caricature souvent et qui, par élimination de tout ce qui est commodités superflues (luxe ostensible, parures inutiles, étalages pompeux), conduit à l’élégance sobre et à la simplicité pratique qui caractérisent maints intérieurs protestants. Comme l’a écrit Ph. Delaroche: «Le capitaliste puritain ne fume pas le cigare, c’est le cigare qui le consume.»56

Pour Weber, cet ascétisme puritain montre qu’il y a, de toute évidence, chez les puritains et leur esprit d’entreprise, autre chose que la satisfaction de besoins et le désir d’acquisition. Il ne s’agit chez eux ni d’acquérir le bonheur, ni de jouir des plaisirs du monde que pourrait procurer l’argent. Le gain n’est pas un but en soi, il est l’écho d’une réalité transcendante et irrationnelle de nature religieuse57.

Et il s’ensuit, chez Weber, des développements passablement «touffus et nébuleux» sur ce que serait, d’après lui, la doctrine de la prédestination dans le calvinisme. L’essentiel de son propos est le suivant: partout où est maintenue la doctrine calviniste de la prédestination surgit la question des critères auxquels un homme peut reconnaître qu’il appartient ou non au nombre des élus. Ne pouvant se contenter de la «simple confiance» dont parlait Calvin, le protestant, d’après Weber, aurait besoin de dissiper ses doutes. Et ce serait par son investissement éperdu dans l’activité professionnelle et économique qu’il chercherait à dissiper ce doute religieux.

C’est aussi ce qui expliquerait, de ce point de vue, le développement, chez les puritains, d’une forme de pragmatisme utilitariste, qui ne reconnaît la présence de la grâce qu’aux fruits qu’elle porte, notamment dans le domaine économique et financier, devenu une forme de «sacrement séculier».

D’autres auteurs, comme Frédéric Hoffet, lui emboîtent le pas: «L’homme protestant semble toujours tourmenté, tendu (…). Seul devant Dieu, il ne connaît jamais la détente que le catholique éprouve quand le pardon lui est conféré dans le confessionnal. Il est donc porté par une inquiétude active, qui, sans répit, l’incite à l’action. Ainsi le calvinisme pousse l’homme au travail, non seulement par les qualités morales qu’il développe en lui, mais encore par un mécanisme psychologique remarquable, qui le maintient dans une tension éminemment productrice.»58

Les détracteurs de Weber

Il n’y a plus aujourd’hui un seul universitaire pour défendre la thèse principale de Weber. Cependant, celle-ci a pris souche. Et depuis, malgré les nombreuses critiques dont elle a fait l’objet, sociologues et historiens généralistes ne cessent d’emprunter à Weber quelques-uns de ses concepts les plus célèbres: comme le désenchantement du monde, l’éthique de conviction, l’éthique de responsabilité, l’ascétisme intramondain des protestants, et ainsi de suite. Comme le dit Biéler, cette méprise de Weber et Troeltsch est d’autant plus fâcheuse «que leurs théories ont eu la malchance d’une heureuse fortune, s’il est permis de risquer ce paradoxe. C’est-à-dire que, quoique fausses à la base, elles ont été reprises et abondamment utilisées par de nombreux historiens sans être jamais vérifiées.»59

Du point de vue des historiens et des sociologues, quelles ont été les principales critiques adressées à Weber?

1. Il a été unanimement reproché à Weber d’avoir manqué de recul et de nuances historiques, d’avoir confondu le calvinisme du XVIe siècle avec un certain puritanisme libéralisé et sécularisé de la fin du XVIIIe siècle60. Comme le dit Biéler: «Entre le XVIIIesiècle, analysé par Weber et Troeltsch, et Calvin, il y a plus de deux siècles d’histoire, et rien moins que la révolution industrielle. Comment peuvent-ils ignorer cette distance? Le puritanisme qu’ils analysent est au moins aussi éloigné du calvinisme de Calvin que l’est aujourd’hui le protestantisme suisse ou français. Il y a naturellement des filiations spirituelles ininterrompues. Mais cette parenté a été métissée par tant d’influences historiques.»61

2. D’autres ont contesté que l’avènement du capitalisme soit réellement imputable à des raisons religieuses. Il leur semble hasardeux d’attribuer à la religion une influence aussi décisive sur les conduites économiques62.

3. D’autres ont reproché à la thèse de Weber l’absence de contre-épreuve: cette évolution économique est-elle présente uniquement en culture calviniste? Et là où le calvinisme est en position de force, est-ce qu’il porte toujours ce résultat ? La réponse est bien évidemment négative. Dans le même sens, il a été reproché à Weber de ne pas prêter suffisamment d’attention aux œuvres du calvinisme qui ont porté des fruits inverses: comme l’apport du calvinisme au christianisme social, au syndicalisme et aux partis travaillistes63, et même à la critique du capitalisme64. Pas plus que Weber ne prête attention aux résistances opposées par l’Église calviniste de Genève à la création d’une banque et au développement du commerce de l’argent65.

4. Enfin, il y a, chez les historiens, un interminable conflit de paternité autour de la question «qui a inventé le calvinisme»?

- Pour plusieurs, ce n’est pas le calvinisme, mais le rationalisme qui aurait engendré le capitalisme.

- Pour d’autres, c’est en amont de la Réforme protestante, dans l’humanisme de la Renaissance et les activités commerciales des villes-Etats italiennes du XVe siècle, qu’il faut localiser cette inspiration.

- Pour beaucoup, c’est aux juifs, piliers du système bancaire médiéval, que reviendrait cette paternité, les puritains s’en étant ensuite inspiré66. Cette thèse a été réaffirmée récemment par Jacques Attali67 qui n’hésite pas, comme le dit un journaliste, «à renvoyer dans les poubelles de l’histoire la thèse de Max Weber enseignée depuis un siècle dans les universités»68.

- Pour d’autres, enfin, ce n’est pas à Calvin, mais à Martin Bucer que reviendrait la paternité de cette révolution économique, et à son influence intellectuelle sur le réformateur de Genève pendant son séjour à Strasbourg69.

Du point vue théologique, maintenant, y a-t-il aujourd’hui un seul théologien pour reconnaître la foi protestante dans le descriptif de Weber?70 Comme le dit Lecerf: «Je ne sais pas si l’on peut travestir de façon plus grotesque l’idée que les œuvres sont une présomption de l’élection, et cette autre idée que le succès est une bénédiction de Dieu.»71

La doctrine de la prédestination prend, dans l’analyse de Weber, une importance démesurée, et surtout un sens que Calvin lui-même ne lui a jamais reconnu, Calvin pour qui la seule preuve de l’élection était la foi: «A chacun, dit-il, sa foi est suffisant témoin de la prédestination éternelle de Dieu, en sorte qu’il serait un sacrilège horrible de s’enquérir plus haut.»72

Puritanisme et théologie de la rétribution

Cela dit, il faut reconnaître que le puritanisme s’est développé, dans les siècles ultérieurs, dans une direction qui, malheureusement, donne raison sur plusieurs points au descriptif de Weber. Les puritains, au départ, se sont livrés à une activité professionnelle intense, dont le succès leur est apparu comme étant don de Dieu, signe de sa grâce, et jusque-là il n’y a rien à redire. Mais, ensuite, la connivence entre la religion et l’esprit capitaliste n’a pas manqué, chez de nombreux puritains au fil des XVIIe et XVIIIe siècles, de s’accroître de plusieurs degrés supplémentaires, conduisant la pensée sur le terrain glissant de ce que nous pourrions appeler une «théologie de la rétribution» (ou «théologie de l’abondance»), qui consiste à poser une équation directe (et surtout retournable) entre enrichissement et bénédiction73. Au sein du puritanisme américain, en particulier, s’exprime parfois un rapport à l’argent que les calvinistes français ressentent comme ambigu, chaque fois que le profit, ou la richesse, est regardé comme signe, pour ne pas dire sacrement de la bénédiction divine.

Et c’est là une des difficultés majeures dans l’analyse des thèses de Weber: si ce qu’il dit est faux de Calvin et de la tradition calvinienne du XVIe siècle, cela est malheureusement vrai, dans les siècles ultérieurs, d’un puritanisme sécularisé et devenu largement libéral74.

Chez Calvin, à l’origine, il n’y a pas de théologie de la rétribution: la fortune est accueillie avec action de grâces, comme un don de Dieu, mais pas de façon automatique. Car la fortune peut aussi être le salaire de comportements frauduleux que Dieu condamne. Et, a contrario, les revers de fortune ne peuvent pas être interprétés comme étant automatiquement le signe d’une désapprobation divine75.

IV. L’actualité de l’éthique économique de Calvin

Au terme de ce parcours rapide, il apparaît clairement que le protestantisme ne se caractérise pas par une absence d’éthique sociale et économique, bien au contraire! Le calvinisme, en particulier, en se démarquant de la doctrine luthérienne de la séparation des «deux règnes» ou des «deux pouvoirs», a développé une théologie propre à interpeller de façon directe le politique et l’économique. Dans la sphère sociale, on pourra lui reprocher parfois ses penchants de type autoritaire ou «théocratique», mais certainement pas son indifférence! Comme l’écrit Auguste Lecerf, le calvinisme est, au même titre que le catholicisme, un principe de civilisation, devant exercer son influence sur toutes les formes de la vie, sur toutes les fonctions de l’activité intellectuelle et sensible76.

Calvin est-il donc le père du capitalisme? En levant l’interdiction qui pesait sur la pratique du prêt à intérêt, Calvin a certainement apporté au développement du capitalisme une forme d’accélération importante, dont lui-même n’a pas pu imaginer l’ampleur. Ceci dit, ce qu’on appelle aujourd’hui le «capitalisme sauvage», utilitariste, individualiste, sans souci d’éthique sociale, subordonné à la loi du profit personnel, est une «éthique» économique que Calvin lui-même aurait condamnée avec la plus grande fermeté et qui ne peut, en aucun cas, se réclamer de sa paternité.

Quelle est l’actualité de sa pensée? Les quatre règles données par Calvin pour encadrer l’exercice du prêt à intérêt conservent, de toute évidence, par rapport aux réflexions économiques contemporaines, une actualité assez troublante. Voici, en conclusion, cinq propositions, pour stimuler la réflexion:

1. Les règles données par Calvin braquent le projecteur sur l’importance du devoir de charité et de solidarité dans un monde où la plupart des prêts sont assimilés à des prêts de production.

2. Elles nous engagent à conserver un minimum de recul et de liberté, pour échapper à la dictature des «contraintes du marché». Aujourd’hui, l’effondrement du communisme semble exclure toute alternative à la rationalité formelle du capitalisme et a considérablement anesthésié la conscience occidentale sur les revers possibles du libéralisme économique. Mais n’existe-t-il qu’un seul capitalisme?

3. La «mondialisation» est souvent critiquée comme étant une menace pour la démocratie, dans le sens où elle tend à subordonner les pouvoirs politiques nationaux aux contraintes du marché, à poser le primat de l’économique sur le politique (notamment en matière de politique sociale, d’emploi et d’environnement). Calvin ne nous appelle-t-il pas, par sa troisième condition, à la plus grande vigilance sur ce point?


4. Restent particulièrement intéressants les propos de Calvin sur l’intérêt proportionné au gain: le «prêt participatif», le contrat de société entre l’emprunteur et le prêteur. Aujourd’hui, au travers des activités boursières transitent des masses financières considérables qui migrent, de par le globe, comme des «vols d’étourneaux», sans s’attacher ou se solidariser longuement au sort des personnes dont elles tirent profit.

5. Par rapport aux «microcrédits» et au développement du «commerce équitable», l’éthique de Calvin renforcera notre conscience sur la disparité du rapport de force qui peut s’établir, dans l’économie de marché et le libre-échange, entre celui qui possède et celui qui est démuni, chaque fois que l’équité de la compétition (ou la «liberté» de l’échange) est mise en question par les pouvoirs considérables que procure l’argent à celui qui en possède sur celui qui en est dépourvu.

1* M. Johner est professeur d’éthique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

«Il est plus difficile pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu, que pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille.» (Mt 19.24) Jésus n’a-t-il pas recommandé à ses disciples de n’emporter ni argent, ni même vêtements ou sandales de rechange? (Mt 10.9-10)

2 L’apôtre Paul, par exemple, désigne sa liberté par rapport à l’argent en disant: «J’ai appris à me contenter de l’état où je me trouve. Je sais vivre dans l’humiliation et je sais vivre dans l’abondance. En tout et partout, j’ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l’abondance et à être dans la disette. Je puis tout par celui qui me fortifie.» (Ph 4.11-14)


3Cf. M. Johner, «Le chrétien à l’épreuve de l’argent», inLa Revue réformée, 214 (2001:4), 4-19.


4 M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (Paris: Plon, 1964 – édition originale en allemand: «Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus»,inArchiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, Tübingen, 1904-1905, tomes II et III).

5 M. Weber, ibid., 209.

6 Ce qui porte quelqu’un comme A. Peyrefitte, dans Le mal français, à s’interroger en disant: «A partir du XVIIe siècle, pourquoi le terreau des nations latines s’est-il appauvri, alors que celui des pays du Nord paraissait s’enrichir? Comment les promoteurs, les initiateurs, les innovateurs ont-ils pu, ici, se multiplier et s’épanouir, alors qu’ailleurs une espèce d’inertie sociale les éliminait ou les paralysait?» A. Peyrefitte, Le mal français(Paris: Plon, 1996), chap. 18: «Pourquoi l’Occident a divergé», 164.

7 A. Biéler, La force cachée des protestants (Genève: Labor et Fides, 1995), 27.

8 «Le dynamisme protestant est un accident», interview d’E. Todd dans le journalRéforme, n° 2791, 8-14 (1998), 8.

9 De nombreuses autres explications ont été avancées:

- Pour certains, cette prospérité serait la conséquence économique naturelle de la fuite des cerveaux et des phénomènes de migrations, importants au XVIIe siècle, parmi les populations protestantes les plus fortunées et instruites. C’est cet exode qui serait venu enrichir les terres de refuge.

- D’autres soulignent le rôle psychologique considérable exercé par l’exil et le fait d’être arraché à ses liens traditionnels. Le simple fait de changer de résidence serait un moyen efficace d’intensifier le rendement du travail (cf. récemment J. Attali, Le nouveau nomadisme).

- D’autres s’attachent à la psychologie des minorités nationales ou religieuses, qui se trouveraient généralement attirées par l’activités économique, du fait même de leur exclusion, volontaire ou involontaire, des positions politiques influentes.

- D’autres l’imputent à la modification de la géographie de la production et de la consommation (John-U. Nef, La naissance de la civilisation industrielle et le monde contemporain, Paris, 1954).

- D’autres à l’individualisme de la Réforme et au court-circuit des hiérarchies qu’il engendre.

- D’autres à la mise en valeur du «sacerdoce universel des croyants», qui va donner naissance au sein du protestantisme à une idée de l’autorité et du gouvernement de type démocratique, tout d’abord dans l’Église, puis ensuite, par analogie, dans la cité politique. Comme l’a écrit A. Peyrefitte, lorsque Calvin (1509-1564) a exhorté ses coreligionnaires à devenir responsables d’eux-mêmes, il a, en réalité, déclenché un mouvement dont il n’a certainement pas imaginé l’ampleur des conséquences historiques, un mouvement qui va, sur plusieurs siècles, ébranler la plupart des structures hiérarchiques du Moyen Age, et inspirer leur remplacement par des structures de type démocratique, que ce soit dans la sphère de la société civile ou celle de la société religieuse. A. Peyrefitte, op. cit., 167. Cf.également A. Peyrefitte, La société de confiance (Paris: Odile Jacob, 1995).

- D’autres, enfin, demandent, plus sournoisement, si c’est le protestantisme qui a engendré la prospérité ou, au contraire, la prospérité qui a attiré les protestants…

10 Selon Platon, dans La République: «C’est le propre d’un homme bien né que de mépriser le travail.» Ou Aristote: «Le privilège de l’homme libre n’est pas la liberté, mais l’oisiveté, qui a pour corollaire le travail forcé des autres, c’est-à-dire des esclaves.» Cités par L. Schümmer, «Les fondements de l’éthique de l’économie et des affaires selon le protestantisme», inLa Revue réformée, 237 (2002:2), 2-3.

11 Selon Thomas d’Aquin, en particulier, la fonction du travail est définie par le but premier et principal de procurer à l’homme de quoi vivre. En conséquence, le travail ne peut être rangé parmi les préceptes qui concernent tous les chrétiens. Il est obligatoire seulement pour ceux qui ne disposent pas d’autres moyens pour se procurer de quoi vivre. Pour la liste des références dans la Somme théologique, voir M. Miegge, «Capitalisme», in P. Gisel (sous la direction de), Encyclopédie du protestantisme(Paris/Genève: PUF/Labor et Fides, 1995, deuxième édition revue, corrigée et augmentée), 186, et L. Schümmer, art. cit., 6.

12 A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin (Publications de la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève, volume XIII, Librairie de l’Université Georg et Cie SA, Genève, 1959, édition originale 1965), 484 et 486. Sur le travail chez Luther, Zwingli, Bucer et Calvin, cf. L. Schümmer, art. cit., 10-25.

13Cf. M. Weber, op. cit., 139. Selon Weber, l’éthique protestante a des affinités avec les anciennes règles monastiques (ora et labora = prie et travaille). Mais le changement radical se produit dans l’orientation et le cadre: l’action des chrétiens ne se produit plus dans l’isolement, mais dans les tâches professionnelles de la vie quotidienne.

14 Par exemple, J.-C. Guillebaud, La refondation du monde (Paris: Seuil, 1999), 198.

15 Calvin, à ce propos, cite souvent Jn 5.17: «Mon père travaille jusqu’à présent, et je travaille, moi aussi.»

16 Calvin écrit: «Il nous faut complètement reposer, afin que Dieu besogne en nous, afin que Dieu besognant en nous, nous acquiescions à lui.» Cité par L. Schümmer, art. cit., 28.

17 E. Doumergue signale qu’une des premières traductions de la Bible protestante en italien (Diodati) présente, sur son frontispice, une image qui résume parfaitement la doctrine réformée du travail vocationnel: un paysan mal habillé sème son blé en levant la face vers les rayons de lumière du tétragramme divin et, dans l’exergue, on lit «son art et son Dieu», «L’esprit social du calvinisme», inJean Calvin, tome V, «La pensée ecclésiastique et la pensée politique de Calvin» (Lausanne: Georges Bridel éditeur, 1917).

18Cf. A. Biéler, op. cit., 492.

19 Pour le puritain, rien n’empêche que l’on change de profession, pourvu que cela ne soit pas à la légère mais pour la gloire de Dieu (= dans le sens d’un avantage plus grand). M. Miegge, «Capitalisme», in P. Gisel (sous la direction de), Encyclopédie du protestantisme(Paris/Genève: PUF/Labor & Fides, 1995 (deuxième édition revue, corrigée et augmentée), 187.

20 Cette mobilité sociale est aussi illustrée par les initiatives prises par Calvin, visant à donner une occupation aux pauvres et aux sans-abri. A la suite de troubles, il y eut à Genève de l’oisiveté et de la misère. Calvin se présente alors devant le Conseil, le 29 décembre 1544, pour le prier «de faire en sorte que les pauvres puissent avoir un métier qui puisse faire travailler les pauvres gens» (selon E. Doumergue, op. cit., 67). Ce qu’oublient facilement plusieurs auteurs comme Weber, Halbwasch («Les origines puritaines du capitalisme» in la Revue d’histoire et de philosophie religieuse (1925), n° 2) ou E. Choisy, L’Etat chrétien calviniste à Genève au temps de Théodore de Bèze (Genève, 1902), 36 et 187.

21 A. Biéler, La force cachée des protestants, 128.

22 Weber fait remarquer que ce qui constitue le moteur de l’activité économique des populations protestantes n’est pas, en premier lieu, le désir de s’enrichir, de jouir ou de posséder (car celui-ci a existé dans toutes les sociétés et à toutes les époques), mais plus précisément le passage de ce que Weber appelle un esprit «pré-capitaliste», dans lequel le peuple en général travaille juste assez pour satisfaire ses besoins vitaux, à un esprit nouveau (qui préfigure celui du monde économique moderne) où chacun est incité à travailler au-delà du minimum nécessaire dans un processus de croissance idéalement infini, tout en s’interdisant par ailleurs d’en profiter, en s’imposant un ascétisme rigoureux, un style de vie sobre et austère. Cf. A. Biéler, ibid.,152.

23Cf. J. Fuchs, «Bucer et le prêt à intérêt», dans Martin Bucer and Sixtenth Century Europe, Actes du Colloque de Strasbourg (28-31 août 1991), édité par C. Krieger Christian et M. Leenhardt, Bulletin (1993), 185, ainsi que B. Schnapper, Les rentes au XVIe siècle, histoire d’un instrument de crédit (Paris, 1957, collection Affaires et gens d’affaires, n° XII).

24 Dans sa définition moderne, l’usure est le délit commis par celui qui prête de l’argent à un taux jugé excessif. Mais dans la tradition classique, juive et chrétienne, le terme désigne toutes les formes de prêts rémunérés.

25Cf. J. Fuchs, art. cit., 185-194.

26 Ex 22.24-25; Lv 25.35-37; Dt. 23.20-21; Ps 15.5: «Il ne prête pas son argent à intérêt.» Ez 18.8: «Celui qui ne prête pas à intérêt et ne tire pas d’usure». Sur le sujet, cf. J. Ellul, L’homme et l’argent (Lausanne: PBU, 1979; édition originale Delachaux et Niestlé 1954),130-132.

27 Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, propose une synthèse de l’Écriture et d’Aristote: cf. L. Schümmer, art. cit., 7, et E. Doumergue, op. cit., 680-681.

28 En particulier sous Justinien, Charlemagne, Gratien, Charles V. En 325, le Concile de Nicée prend les premières sanctions canoniques en la matière (le canon 17 prévoit la déposition des clercs usuriers). En 445, une décrétale de Léon Legrand condamne les usuriers laïques. Au VIe siècle, l’empereur Justinien abaisse les taux et prohibe les intérêts composés. En 789, Charlemagne promulgue la première prohibition séculière de l’usure (art. 5 de l’Admonitio Generalis). Et les Conciles de Latran en 1179 et 1274 prennent de nouvelles sanctions (excommunication et privation de sépulture). Puis publication d’une Compilation, sous le titre de «Décret de Gratien» (cause 14/question 3) en 1140. En 1394, Charles V bannit les Juifs du royaume de France, au grand profit des Lombards, qui au XVe siècle obtiennent de prêter au taux maximal de 53% par an et ceci. jusqu’en 1576, date des décrets de Henri III (selon D. Ramelet, «La prohibition de l’usure au Moyen Age», revue Finance et Bien commun/Common Good, n° 17, hiver 2003-2004). Sur le même sujet, cf. E. Doumergue, op. cit., 680, et A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 474.

29 Lettre française de 1545, traduite en latin et publiée en 1575 par Théodore de Bèze. Elle entra dans les règles des Églises sous le titre Concilium de usuris (Calvin, O.S., II, 391 et 394), lettre publiée intégralement par E. Dommen, Finance et bien commun (avril 2004), n° 16, édité par l’Observatoire de la finance à Genève, 45-58.

30 Charles Dumoulin (né vers 1500) fut un des plus grands jurisconsultes et légistes de son temps (césaro-papiste et gallican forcené), dont l’orgueil était célèbre. Calvin le crut «son ami», avant qu’il n’adhère au luthéranisme, ne devint l’adversaire passionné du calvinisme et ne meure en «bon catholique». En 1547, Dumoulin publia une justification du prêt utile dans son Traité des contrats, de l’usure et des rentes instituées. Mais rien ne prouve que les deux hommes se soient connus. Et des deux, lequel est antérieur? La lettre de Calvin à Sachins est la réponse à une lettre du 7 novembre 1545. En outre, Calvin est le seul à prouver la productivité de l’argent et à s’attaquer de front à l’argumentation d’Aristote, qui était le fondement essentiel de la prohibition de l’usure (selon E. Doumergue, op. cit., 687-688).

31Cf. L. Schümmer, art. cit., 46.

32 E. Doumergue, op. cit., 686.

33 Pour l’exégèse de Calvin et ses commentaires bibliques, voir A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, 457-462, 471.

34 A. Biéler, ibid., 461-462.

35Cf., par exemple, l’institution du jubilé: «La terre ne sera pas vendue à perpétuité, car la terre est à moi, et vous êtes chez moi comme des étrangers et des gens en séjour (Lv 25.23).» L. Schümmer, art. cit., 6.

36 A. Biéler, op. cit., 454.

37 J. Calvin, cité par A. Lecerf, «Calvinisme et capitalisme», dans Etudes calvinistes (Aix-en-Provence: Kerygma, 1999, réédition de l’édition originale Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1949), 101.

38 Pour la critique de la doctrine d’Aristote par Calvin, voir E. Doumergue, op. cit., 680-681, 688 , L. Schümmer, art. cit., 7.

39 Pierre et Philippe de Savoie, par exemple, ont couvert de leur protection l’établissement d’un «caorsin» (lombard ou banquier) et, plus tard, d’un Juif qui était placé sous leur garde spéciale. Il est question, en 1287, d’un prêt à 50%. L’Église était aussi entrée en composition avec le siècle et les franchises d’Adhémar Fabri avaient autorisé, dans les villes de foires, le prêt à intérêt. Au XVe siècle, les Lombards obtiennent l’autorisation de prêter au taux maximum de 53% par an (selon E. Doumergue, op. cit., 684-685).

40 A. Lecerf, op. cit., 103.

41 Pour une exposition détaillée, cf. A. Biéler, op. cit., 453-469.

42 Pour un exposé des sept conditions de Calvin, cf. E. Doumergue, op. cit., 682, et L. Schümmer, art. cit., 46-47, et A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, 453-469.

43 Calvin veut distinguer prêt de consommation et prêt de production, mais il demande aussi que l’on fasse la même distinction en sens inverse: que l’on ne s’autorise pas à appeler prêt à intérêt tout ce qui n’est, en fait, qu’usure, exploitation, et qui tombe sous le coup du jugement de Dieu (A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, 459).

44 A. Biéler, op. cit., 460 et 472.

45 D. Ramelet, art. cit., 25-26.

46 J. Calvin, cité par A. Biéler, op. cit., 457.

47 E. Doumergue, op. cit., 682.

48 A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, 459, 468, 473.

49 Il apparaît ici une limite au discours précédent de Calvin sur la dignité des professions séculières. Calvin est allé plus loin que Luther en étendant la notion de vocation aux professions commerciales et industrielles, mais il n’est pas allé jusqu’à donner cette absolution aux métiers de la banque. Rejoignant en cela Luther, qui s’était opposé aux grandes sociétés commerciales et banques de son temps, comme les Fugger (qui étaient chargés du commerce des indulgences). Cf. A.-E. Sayous, «La banque à Genève pendant les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles», in Revue économique internationale (Paris, 1934), et «Calvinisme et capitalisme à Genève de la Réforme à la fin du XVIIIe siècle», inAnnales d’histoire économique et sociale (Paris, 1935), et H. Luthy, inLa banque protestante en France de la Révocation de l’Edit de Nantes à la Révolution, 2 vol. (Paris, 1959-1961).

50 J. Fuchs, «Bucer et le prêt à intérêt», art. cit., 189.

51E. Troeltsch, «Die Soziallehren der Christlichen Kirchen und Gruppen», inGesammelte Schriften, I, Tübingen (1912).

52 F.-J. Schmidt, «Kapitalismus und Protestantismus», inPreussische Jahrbücher(novembre 1905), voyait dans le protestantisme la «religion du monde moderne» et a poussé les thèses de l’école de Heidelberg jusqu’à l’absurde et à la caricature, selon Doumergue.

53 Comme dit Biéler: au XIXe, certains philosophes, Karl Marx en tête, ont commencé à analyser le processus de formation de la civilisation industrielle capitaliste et soutenu que les manifestations spirituelles et morales n’étaient pas les causes, mais les conséquences de réalités purement économiques. Et, au début du XXe, plusieurs auteurs, souvent pour prendre le contre-pied du marxisme, ont voulu démontrer l’inverse: en parlant de l’influence des religions sur la vie économique (A. Biéler, op. cit., 477).

54 Publié en Allemagne en 1905, le livre de Max Weber (1864-1920) n’est disponible en traduction française que depuis 1964. Ce très long différé explique que l’ouvrage n’a pas pu être accueilli en France comme il l’avait été dans l’univers anglo-saxon à une époque où les premières puissances économiques du monde (Etats-Unis, Royaume-Uni et Allemagne) étaient à dominante protestante. Alors que, dans les années 1960, le miracle économique était italien, français et espagnol, donc catholique et latin (selon Odon Valet,Bulletin d’information protestant, 20).

55 Inspiré du résumé de Ph. Delaroche, «Le protestant, grand thésauriseur devant l’Eternel», inBulletin d’information protestant, 1-15 février 2002, 11.

56 Ph. Delaroche, ibid., 11.

57 A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, 480.

58 F. Hoffet, L’impérialisme protestant (Paris, 1948), 145.

59 A. Biéler, op. cit., 497.

60 En particulier l’historien français H. Hauser, «A propos des idées économiques de Calvin», inMélanges d’histoire offerts à Henri Pirenne (Bruxelles, 1926).

61 A. Biéler, op. cit., 494.

62 Des auteurs catholiques, comme l’historien G. Goyau, Une ville-Église: Genève (Paris, 1919, 2 vol.), ou F. Rachfahl (Kalvinismus und Kapitalismus, 1909).

63 En Grande-Bretagne, par exemple, le réveil méthodiste a favorisé dans les couches populaires des activités de secours mutuel. A partir du XIXe siècle, le non-conformisme protestant a fourni des militants et parfois des cadres au syndicalisme et au parti travailliste. Plus tard, les mouvements du christianisme social ont surgi dans un contexte fort différent. Souvent par des pasteurs proches du peuple et éloignés de la bourgeoisie protestante. Face aux Églises officielles qui ne voyaient dans le socialisme que l’ennemi de la religion et de la morale, ils ont souvent soutenu que celui-ci était porteur des valeurs bibliques délaissées par la théologie et remis en évidence, en opposition au moralisme et à l’individualisme religieux de l’époque libérale, les tâches publiques et politiques de la vocation chrétienne. Selon M. Miegge, «Capitalisme», inEncyclopédie du protestantisme, 189-191.

64 Par exemple, la critique du capitalisme par J.-C. Sismondi, à Genève, qui publie lesNouveaux principes d’économie politique en 1819.

65Cf. A.-E. Sayous, «La banque à Genève pendant les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles», in Revue économique internationale (Paris, septembre1934) et «Calvinisme et capitalisme à Genève de la Réforme à la fin du XVIIIe siècle», inAnnales d’histoire économique et sociale (Paris, 31 mai 1935).

66 Pour W. Sombart, par exemple, les puritains capitalistes sont des juifs qui s’ignorent. S’ils ont contribué à la naissance de l’esprit capitaliste, c’est dans la mesure où leur religion s’apparentait à celle des juifs. Die Juden und das Wirtschaftsleben (Leipzig, 1911, traduction française, Paris, 1923). Pour la critique de cette thèse, voir H. See, «Dans quelle mesure puritains et juifs ont-ils contribué aux progrès du capitalisme moderne?»,in Revue historique (Paris, mai-août 1927), et R.-H. Tawney, Religion and the Rise of Capitalism (Londres, 1926, traduction française: Le religion et l’essor du capitalisme, Paris, 1951).

67 J. Attali, Les Juifs, le monde et l’argent (Paris: Fayard, 2002).

68 E. Conan, «Les Juifs, les chrétiens et l’argent», L’Express (10 janvier 2002), 58.

69Thèse soutenue par G. Klingenburg, Das Verhältnis Calvins zu Butzer, untersucht auf Grund der wirtschaftsethischen Bedeutung beider Reformatoren (1912).Cf. également J. Fuchs, art. cit., 185-194. Il faut toutefois faire remarquer que les écrits de Calvin sur le sujet sont antérieurs à ceux de Bucer, et que Bucer ne s’est pas attaqué au fond de la question: la doctrine aristotélicienne de la non-productivité de l’argent.

70 Ou de façon plus caricaturale L. Rougier («La Réforme et le capitalisme moderne», in Revue de Paris, sept.-oct. 1928), pour qui le calvinisme serait avant tout la glorification des vertus bourgeoises.

71 A. Lecerf, art. cit., 104.

72 J. Calvin cité par E. Doumergue, «L’esprit social du calvinisme», 626.

73 Sur ce point, les puritains reprennent à leur compte la morale présumée de l’Ancien Testament selon laquelle Dieu bénit visiblement ses élus ici-bas et de façon mesurable dans toutes leurs entreprises, selon A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, 490.

74 Comme le dit Biéler: «L’enthousiasme religieux des débuts des mouvements puritains n’a-t-il pas cédé le pas progressivement à un style de vie sécularisé, vide des préoccupations spirituelles antérieures? Lentement, la sève religieuse s’est retirée pour laisser la place à cet esprit purement utilitariste qui caractérise aujourd’hui la morale bourgeoise.» (op. cit., 491).

75 Dans la Bible, à laquelle les calvinistes se réfèrent sans cesse, il est notable que Dieu ne lie pas forcément sa bénédiction à ce signe. Job, par exemple, doit apprendre que la bénédiction de Dieu reste sur lui malgré sa misère et ses revers de fortune. Dieu peut enrichir, certes. La richesse de Salomon, par exemple, au cœur de l’Ancien Testament, est un signe et une prophétie. Cette richesse, à proprement parler, n’est pas la sienne, mais celle du royaume eschatologique dont elle était annonciatrice.

76 Nous sommes aux antipodes de la religion Privatsache (affaire privée) dans laquelle le marxisme prétendait nous enfermer, selon A. Lecerf, «Calvinisme et capitalisme», op. cit., 99-100.

Globalização e soberania

Giovanni ARRIGHI
La globalización, la soberanía estatal
y la interminable acumulación del capital

Versión revisada de la ponencia presentada en la Conferencia sobre “Estados y Soberanía en la Economía Mundial,” Universidad de California, Irvine, del 21 al 23 de febrero de 1997. Con el agradecimiento del autor a Beverly Silver, David Smith, Dorie Solinger y Steven Topik por sus muy útiles comentarios sobre la anterior versión del texto.

Publicado en Iniciativa Socialista número 48, marzo 1998, con el agradecimiento de la revista al autor por autorizar la traducción y publicación del trabajo.

“Los tiempos de cambio son también tiempos de confusión”, observa John Ruggie. “Las palabras pierden su significado habitual, y nuestros pasos se vuelven inseguros sobre el que era, anteriormente, un terreno conocido” (1994: 553). Cuando lo que buscamos es caminar firmemente sobre conceptos aparentemente bien establecidos, como Stephen Krasner (1997) hace con el de “soberanía”, descubrimos que su uso tradicional está en sí mismo preso en una confusión irremediable. Y cuando acuñamos nuevos términos, tales como “globalización”, para capturar la novedad de las condiciones emergentes, agravamos la confusión con un vertido negligente de vino viejo en nuevas botellas. El propósito de este trabajo es mostrar que, a fin de aislar lo que es verdaderamente nuevo y anómalo en las transformaciones en marcha del capitalismo mundial y en la soberanía estatal, debemos previamente reconocer qué aspectos clave de estas transformaciones no son totalmente nuevos o lo son en cierto grado pero no en su naturaleza.

Comenzaré por argumentar que mucho de lo que se conoce con la denominación de “globalización” ha sido de hecho una tendencia recurrente del capitalismo mundial desde el inicio de los tiempos modernos. Esta recurrencia hace que la dinámica y el (los) resultado(s) probable(s) de las transformaciones actuales sean más predecibles de lo que serían si la globalización fuera un fenómeno nuevo, como piensan muchos observadores. Por tanto, yo desplazaré mi atención al modelo evolutivo que ha permitido al capitalismo mundial y al sistema subyacente de estados soberanos llegar a ser, como señala Immanuel Wallerstein (1997), “el primer sistema histórico en incluir el globo entero dentro de su geografía”. Mi pretensión será destacar que la auténtica novedad de la ola actual de globalización es que este modelo evolutivo se encuentra ahora en un “impasse”. Concluiré especulando sobre las salidas posibles de este “impasse” y sobre los tipos de nuevo orden mundial que pueden surgir como resultado de los recientes procesos de acumulación de capital a escala mundial en el Este de Asia.

I Como han señalado los críticos del concepto de globalización, muchas de las tendencias que abarca ese nombre no son nuevas del todo. La novedad de la llamada “revolución de la información” es impresionante, “pero la novedad del ferrocarril y el telégrafo, el automóvil, la radio, y el teléfono impresionaron igualmente en su día” (Harvey, 1995: 9). Incluso la llamada “virtualización de la actividad económica” no es tan nueva como puede parecer a primera vista.

Los cables submarinos del telégrafo desde la década de 1860 en adelante conectaron los mercados intercontinentales. Hicieron posible el comercio cotidiano y la formación de precios a través de miles de millas, una innovación mucho mayor que el advenimiento actual del comercio electrónico. Chicago y Londres, Melbourne y Manchester fueron conectados en tiempo real. Los mercados de obligaciones también llegaron a estar estrechamente interconectados, y los préstamos internacionales a gran escala tanto inversiones de cartera como directas- crecieron rápidamente durante este período (Hirst, 1996: 3).

En efecto, la inversión directa extranjera creció tan rápidamente que en 1913 supuso por encima del 9% del producto mundial -una proporción que todavía no había sido superada al comienzo de la década de 1990 (Bairoch y Kozul-Wright, 1996: 10). Similarmente, la apertura al comercio exterior -medido por el conjunto de importaciones y exportaciones en proporción del PIB- no era notablemente mayor en 1993 que en 1913 para los grandes países capitalistas, exceptuando a los Estados Unidos (Hirst 1996: 3-4).

Seguramente, como resaltan desde perspectivas diferentes las aportaciones de Eric Helleiner (1997) y Saskia Sassen (1997), la más espectacular expansión de las últimas dos décadas, y la mayor evidencia en el arsenal de los defensores de la tesis de globalización, no ha estado en la inversión directa extranjera o en el comercio mundial sino en los mercados financieros mundiales. Señala Saskia Sassen que “desde 1980 el valor total de los activos financieros ha aumentado dos veces y media más rápido que el PIB agregado de todas las economías industriales ricas. Y el volumen de negocio en divisas, obligaciones y participaciones de capital ha aumentado cinco veces más rápido”. El primero en “globalizarse”, y actualmente “el mayor y en muchos sentidos el único auténtico mercado global” es el mercado de divisas. Las transacciones por cambio de divisas fueron diez veces mayores que el comercio mundial en 1983; sólo diez años después, en 1992, esas transacciones eran sesenta veces mayores” (1996: 40). En ausencia de este explosivo crecimiento de los mercados financieros mundiales, probablemente no hablaríamos de globalización, y seguramente no lo haríamos hablando de un nuevo rumbo del proceso en marcha de reconstrucción del mercado mundial producido bajo la hegemonía de Estados Unidos como resultado de la Segunda Guerra Mundial. Después que todo:

Bretton Woods era un sistema global, así que lo que realmente ha ocurrido ha sido un cambio desde un sistema global (jerárquicamente organizado y en su mayor parte controlado políticamente por los Estados Unidos) a otro sistema global más descentralizado y coordinado mediante el mercado, haciendo que las condiciones financieras del capitalismo sean mucho más volátiles e inestables. La retórica que acompañó a este cambio se implicó profundamente en la promoción del término” globalización” como una virtud. En mis momentos más cínicos me encuentro a mí mismo pensando que fue la prensa financiera la que nos llevó a todos (me incluyo) a creer en la “globalización” como en algo nuevo, cuando no era más que un truco promocional para hacer mejor un ajuste necesario en el sistema financiero internacional (Harvey, 1995: 8).

Truco o no, la idea de globalización estuvo desde el comienzo entretejida con la idea de intensa competencia interestatal por la creciente volatilidad del capital y por la consiguiente subordinación más estricta de la mayoría de los estados a las dictados de las agencias capitalistas. No obstante, es precisamente en este aspecto donde las tendencias actuales recuerdan más la belle époque del capitalismo mundial, entre finales del siglo diecinueve y comienzos del siglo veinte. Como reconoce la misma Sassen:

En muchos aspectos el mercado financiero internacional desde finales del siglo XIX hasta la primera guerra mundial fue tan masivo como el de hoy...El alcance de la internacionalización puede observarse en el hecho de que en 1920, por ejemplo, Moody calificaba obligaciones emitidas por alrededor de cincuenta gobiernos para obtener fondos en los mercados de capitales de EEUU. La Depresión supuso un radical declive de esta internacionalización, hasta el punto de que sólo muy recientemente Moody ha vuelto a calificar de nuevo las obligaciones de tantos gobiernos (1996: 42-3).

En suma, los defensores cuidadosos de la tesis de la globalización coinciden con sus críticos en no considerar las transformaciones actuales como una novedad, a excepción de su escala, alcance y complejidad. Sin embargo, como he argumentado y documentado en otra parte (Arrighi, 1994), las especificidades de las transformaciones actuales sólo pueden apreciarse completamente mediante un alargamiento del horizonte de tiempo de nuestras investigaciones para comprender la vida entera del capitalismo mundial. En esta perspectiva más larga, la “financierización”, el aumento de la competencia interestatal por la movilidad del capital, el rápido cambio tecnológico y organizacional, las crisis estatales y la inusitada inestabilidad de las condiciones económicas en que operan los estados nacionales -tomados de forma individual o conjuntamente como componentes de una particular configuración temporal, todos estos son aspectos recurrentes de lo que he llamado “ciclos sistémicos de acumulación”.

En cada uno de los cuatro ciclos sistémicos de acumulación que podemos identificar en la historia del capitalismo mundial desde sus más tempranos comienzos en la Europa medieval tardía hasta el presente, los períodos caracterizados por una expansión rápida y estable de la producción y el comercio mundial invariablemente terminan en una crisis de sobreacumulación que hace entrar en un período de mayor competencia, expansión financiera, y el consiguiente fin de las estructuras orgánicas sobre las que se había basado la anterior expansión del comercio y la producción. Tomando prestada una expresión de Fernand Braudel (1984: 246) -el inspirador de la idea de los ciclos sistémicos de acumulación- estos períodos de competición intensificada, expansión financiera e inestabilidad estructural no son sino “el otoño” que sigue a un importante desarrollo capitalista. Es el tiempo en el que el líder de la expansión anterior del comercio mundial cosecha los frutos de su liderazgo en virtud de su posición de mando sobre los procesos de acumulación de capital a escala mundial. Pero es también el tiempo en el que el mismo líder es desplazado gradualmente de las alturas del mando del capitalismo mundial por un emergente nuevo liderazgo. Esta ha sido la experiencia de Gran Bretaña entre el final del siglo diecinueve y el comienzo del veinte; de Holanda en el siglo dieciocho, y de la diáspora capitalista genovesa en la segunda mitad del siglo dieciséis. ¿Puede ser también la experiencia de los Estados Unidos hoy?

Hasta el momento, la tendencia más destacada para Estados Unidos sigue siendo cosechar los frutos de su liderazgo del capitalismo mundial en la era de la Guerra Fría. Desde luego, diversos aspectos del aparente triunfo global del americanismo que resultó de la desaparición de la URSS, más que ser señales de la globalización, tienen entidad propia . Las señales más ampliamente reconocidas son la hegemonía global de cultura popular de los Estados Unidos y la importancia creciente de las agencias mundiales de gobierno influidas, desproporcionadamente, por los Estados Unidos y sus aliados más cercanos, tales como el Consejo de Seguridad de la ONU, la OTAN, el Grupo de los Siete (G-7), el FMI, el BIRF y la OMC. Menos ampliamente reconocido pero también importante es la ascendencia de un nuevo régimen legal en transacciones comerciales internacionales dominado por las firmas legales americanas y las concepciones angloamericanas de las normas mercantiles (Sassen, 1996: 12-21).

No debe minimizarse la importancia de estas señales de una americanización adicional del mundo. Pero no deben tampoco exagerarse, particularmente en lo que se refiere a la capacidad de los intereses norteamericanos para continuar configurando y manipulando en beneficio propio las estructuras orgánicas del sistema capitalista mundial. Lo más probable es que la victoria de los Estados Unidos en lo que Fred Halliday (1983) ha llamado la Segunda Guerra Fría y la americanización adicional del mundo aparecerán de forma retrospectiva como los momentos de cierre de la hegemonía mundial de Estados Unidos, así como la victoria de Gran Bretaña en la Primera Guerra Mundial y la expansión adicional de su imperio en el extranjero fueron los preludios de la desaparición final de la hegemonía mundial británica en las décadas de 1930 y 1940. Como veremos en la sección III, hay buenas razones para esperar que la desaparición de la hegemonía de EEUU siga una trayectoria diferente a la desaparición de la hegemonía británica. Pero hay igualmente buenas razones para esperar que el presente liderazgo de EEUU de la fase de expansión financiera sea un fenómeno temporal, como la análoga fase de liderazgo británico de hace un siglo.

La razón más importante es que la presente belle époque del capitalismo financiero, no menos que todos su precedentes históricos -desde la Florencia del Renacimiento a la era eduardiana de Gran Bretaña, pasando por la época de los genoveses y el período de “las pelucas” de la historia holandesa- se basa en un sistema de profundas y masivas redistribuciones de renta y riqueza desde toda clase de comunidades hacia las agencias capitalistas. En el pasado, redistribuciones de este tipo engendraron una considerable turbulencia política, económica y social. Por lo menos inicialmente, los centros organizadores de la expansión anterior de la producción y comercio mundial estaban mejor situadas para dominar y, desde luego, para beneficiarse de la turbulencia. Con el paso del tiempo, sin embargo, la turbulencia socavó el poder de los viejos centros organizadores, y preparó su desalojo por nuevos centros organizadores, capaces de promover y mantener una nueva expansión importante de la producción y el comercio mundial (Arrighi, 1994).

Resulta incierto, como veremos, si alguno de tales nuevos centros organizadores están emergiendo hoy bajo el brillo de la expansión financiera conducida por EEUU. Pero los efectos de la turbulencia engendrada por la expansión financiera actual han comenzado a preocupar incluso a los promotores e impulsores de la globalización económica. David Harvey (1995: 8, 12) señala varias de esas preocupaciones, indicando que la globalización se está convirtiendo en “un tren sin frenos causando estragos”, preocupado ante la “creciente reacción” contra los efectos de tal fuerza destructiva, sobre todo por “el ascenso de un nuevo tipo de políticos populistas” fomentado por la “sensación...de impotencia e inquietud” que se está fortaleciendo incluso en los países ricos. Más recientemente, el financiero cosmopolita de origen húngaro George Soros se ha unido al coro para señalar que la generalización global del capitalismo del “laissez-faire” ha sustituido al comunismo como la principal amenaza a una sociedad abierta y democrática.

Pese a haber amasado una gran fortuna en los mercados financieros, temo ahora que la irrefrenable intensificación del capitalismo de “laissez-faire” y la extensión de los valores de mercado a todas las esferas de la vida están poniendo en peligro nuestra sociedad abierta y democrática. El principal enemigo de la sociedad abierta ya no es, en mi opinión, la amenaza comunista sino el capitalismo.... El exceso de competencia y la escasa cooperación pueden ocasionar desigualdades insoportables e inestabilidad.... La doctrina del capitalismo de “laissez-faire” sostiene que la mejor manera de obtener el bien común es con la búsqueda sin trabas del propio interés. A menos que el propio interés sea moderado por el reconocimiento de un interés común, que debe prevalecer sobre intereses particulares, nuestro actual sistema...puede venirse abajo (Soros 1997: 45, 48).

Informando de la proliferación de escritos en la línea del de Soros, Thomas Friedman -un temprano impulsor de la idea de las virtudes de la globalización, y quien luego inventó la metáfora del “tren sin frenos”- reitera la visión de que “la integración del comercio, las finanzas y la información, que están creando una cultura y un mercado global únicos” es inevitable e imparable. Pero mientras la globalización no puede ser parada -se apresura a añadir “hay dos cosas que pueden hacerse”, presumiblemente por su propio bien: “podemos ir más rápido o más lento... Y podemos hacer más o menos para amortiguar [sus] efectos negativos” (1997: I, 15).

Hay mucho déjà vu en estos diagnósticos de la autodestructividad de los procesos no regulados de formación del mercado mundial y en los pronósticos conectados de lo que debería hacerse para remediar tal capacidad de autodestrucción. El mismo Soros compara la época actual de capitalismo triunfante de “laissez-faire” con la época similar de hace un siglo. En su visión esa época anterior fue, en cualquier caso, más estable que la presente, a causa del dominio del patrón-oro y de la presencia de un poder imperial, Gran Bretaña, dispuesto a despachar cañoneras a cualquier lugar remoto para mantener el sistema. Y aun así, el sistema se vino abajo ante el impacto de las dos guerras mundiales y el ascenso de intervencionistas “ideologías totalitarias”. Hoy, en contraste, los Estados Unidos están poco dispuestos a ser el gendarme del mundo, “y las principales monedas flotan y chocan unas contra otras como placas continentales” haciendo que la ruptura del régimen actual sea mucho más probable “a menos que aprendamos de la experiencia” (1997: 48).

Nuestra sociedad abierta y global carece de las instituciones y mecanismos necesarios para su preservación, y no hay voluntad política para crearlos. Yo culpo a la actitud predominante, la cual sostiene que la búsqueda sin obstáculos del propio interés traerá finalmente un equilibrio internacional...Tal y como están las cosas, no hace falta mucha imaginación para darse cuenta de que la sociedad abierta y global que predomina en la actualidad es probablemente un fenómeno temporal (Soros, 1997: 53-4).

Soros no hace ninguna referencia al relato, ahora clásico, del ascenso y desaparición del capitalismo decimonónico de “laissez faire”, realizado por su compatriota Karl Polanyi. No obstante, cualquier persona familiarizada con ese relato no puede dejar de resultar impactada por su anticipación de los argumentos actuales sobre las contradicciones de la globalización (sobre la permanente trascendencia del análisis de Polanyi para una comprensión de la ola actual de globalización véase, entre otros, Mittelman, 1996). Como Friedman, Polanyi vio en una ralentización del ritmo de cambio la mejor manera de preservar el cambio, yendo en una dirección determinada sin provocar conflictos sociales que acabarían en caos más que en cambio. También resaltó que únicamente un colchón protector de los efectos disociadores de las normas del mercado puede prevenir una revuelta social de autodefensa frente al sistema de mercado (1957: 3-4, 36-8, 140 -50). Y como Soros, Polanyi descartó la idea de un mercado (global) autorregulable como “una pura utopía”. Argumentó que ninguna institución de tal carácter puede existir de forma duradera “sin aniquilar la sustancia humana y la naturaleza de la sociedad (del mundo)”. En su visión, la única alternativa al desmoronamiento del sistema mundial de mercado en el periodo de entreguerras “era el establecimiento de un orden internacional dotado con un poder organizado capaz de trascender la soberanía nacional” -una dirección, sin embargo, que “estaba completamente fuera de los horizontes de aquel tiempo” (1957: 3-4, 20-22).

Ni Soros ni Polanyi proporcionan una explicación de por qué el poder mundial todavía dominante en sus respectivas épocas -los Estados Unidos hoy, Gran Bretaña en el final del siglo diecinueve y comienzo del veinte- se empecinó obstinadamente y propagó la creencia en un mercado global autorregulable, a pesar de la evidencia acumulada de que los mercados no regulados (los mercados financieros no regulados en particular) no producen equilibrio sino desorden e inestabilidad. De forma subyacente a tal obstinación podemos, sin embargo, detectar la difícil situación de un agente cuya hegemonía declina y que ha llegado a ser completamente dependiente, para poder beneficiarse suficientemente de ese poder. Se trata de que el agente hegemónico no puede asegurar ya más el desarrollo ordenado del proceso de amplia y profunda integración del comercio mundial y financiero que, cuando estaba en la cumbre de su poder, promovió y organizó. Es como si el poder hegemónico declinante no pudiera saltar fuera del “tren sin frenos” de la especulación financiera desrregulada, ni desviar el tren hacia una vía menos auto-destructiva.

Históricamente, la reconducción del capitalismo mundial hacia una vía más creativa que destructiva ha tenido como premisa la emergencia de nuevos “vehículos tendedores de vías”, tomando prestada una expresión de Michael Mann (1986: 28). Es decir, la expansión del capitalismo mundial a sus dimensiones globales actuales no ha discurrido a lo largo de una vía única colocada de una vez por todas hace quinientos años. Más bien, ha discurrido mediante varios cambios de tendido de nuevas vías que no existieron hasta que unos específicos complejos de agentes gubernamentales y comerciales desarrollan la voluntad y la capacidad para conducir el sistema entero en la dirección de una cooperación más extensa o más profunda. La hegemonía mundial de las Provincias Unidas en el siglo diecisiete, del Reino Unido en el siglo diecinueve, y de los Estados Unidos en el siglo veinte, han sido “vehículos tendedores de vías” de este tipo (cf. Taylor, 1994: 27). Al conducir el sistema en una nueva dirección, ellos también lo transformaron. Y son estas transformaciones consecutivas las que debemos observar para poder identificar las auténticas novedades de la ola actual de expansión financiera.

II La formación de un sistema capitalista mundial, y su transformación subsiguiente de ser un mundo entre muchos mundos hasta llegar a ser el sistema socio-histórico del mundo entero, se ha basado en la construcción de organizaciones territoriales capaces de regular la vida social y económica y de monopolizar los medios de coacción y violencia. Estas organizaciones territoriales son los estados, cuya soberanía se ha dicho que va a ser socavada por la ola actual de expansión financiera. En realidad, la mayoría de los miembros del sistema interestatal nunca tuvieron las facultades que se está diciendo que los estados van a perder bajo el impacto de la ola actual de expansión financiera; e incluso los estados que tuvieron esos poderes durante un tiempo no los tuvieron en otro.

En cualquier caso, las olas de expansión financiera nacen de una doble tendencia. Por un lado, las organizaciones capitalistas responden a la sobreacumulación de capital que limita lo que puede reinvertirse lucrativamente en los canales establecidos de comercio y producción, sosteniendo en forma líquida una proporción creciente de sus rentas corrientes. Esta tendencia crea lo que podemos llamar las “condiciones de oferta” de las expansiones financieras -una superabundante masa de liquidez que puede movilizarse directamente o por medio de intermediarios hacia la especulación, prestando y generando endeudamiento. Por otra parte, las organizaciones territoriales responden a las mayores limitaciones presupuestarias que resultan del lento descenso en la expansión de comercio y producción mediante una intensa competencia entre ellas para captar el capital que se acumula en los mercados financieros. Esta tendencia crea lo que podemos llamar las “condiciones de demanda” de las expansiones financieras. Todas las expansiones financieras, pasadas y presentes, son el resultado del desarrollo desigual y combinado de estas dos tendencias complementarias (Arrighi, 1997).

Todos estamos muy impresionados, y debemos estarlo, por el crecimiento astronómico de capital que busca su valorización en los mercados financieros mundiales y por la intensa competencia entre unos estados y otros en su intento de obtener, para sus propias necesidades, una fracción de ese capital. Sin embargo, deberíamos ser conscientes del hecho de que en las raíces de este crecimiento astronómico se encuentra una escasez básica de salidas lucrativas para la masa creciente de ganancias que se acumula en las manos de las agencias capitalistas. Esta escasez básica hace que la búsqueda de ganancias por esas agencias capitalistas sea dependiente de la ayuda de los estados, así como los estados son dependientes, en la búsqueda de sus propios objetivos, de las agencias capitalistas. No deberíamos sorprendernos, por lo tanto, si algunos estados son reforzados más que debilitados por la expansión financiera. Como Eric Helleiner (1997) señala, los estados del este de Asia han permanecido inmunes al tipo de presiones que han conducido a otros estados, en otras zonas, a “desregular” sus sistemas financieros domésticos para atraer capital. Y Richard Stubbs (1997) muestra que, como resultado del Acuerdo Plaza del G-7 de 1985, los estados del ASEAN han sido literalmente inundados por capitales que buscaban inversiones dentro de sus dominios -un desarrollo que ha mejorado más que empeorado su libertad de acción en relación con las fuerzas externas, tanto económicas como políticas. La lucha de los estados africanos, latinoamericanos, de Europa Oriental, de Europa Occidental, norteamericanos y australasianos por el capital móvil, han sido así acompañados por una lucha del capital móvil por subirse al carro de la expansión económica del este y sudeste asiático.

En la sección final de este artículo discutiremos el significado de esa excepción que suponen el este y sudeste asiático. Por ahora permítasenos simplemente resaltar que las expansiones financieras del pasado, no menos que la del presente, han sido todas momentos de pérdida de poder de algunos estados -incluyendo, incluso, los estados que habían sido los “vehículos tendedores de vías” del capitalismo mundial en las épocas que estaban acabando- y el fortalecimiento simultáneo de otros estados, incluyendo los que, en su momento oportuno, llegaron a ser los nuevos “vehículos tendedores de vías” del capitalismo mundial. Aquí aparece el principal significado de los ciclos sistémicos de acumulación. Estos ciclos no son simples ciclos. Son también etapas en la formación y expansión gradual del sistema mundial capitalista hasta sus dimensiones globales actuales.

Este proceso de globalización ha surgido mediante la aparición, en cada etapa, de centros organizadores de mayor escala, alcance y complejidad que los centros organizadores de la etapa anterior. En esta secuencia, las ciudades-estado como Venecia y la diáspora genovesa de negocios trasnacionales fueron reemplazadas en la alta dirección del sistema mundial capitalista por un proto-estado nacional como Holanda y sus compañías de navegación, que fue reemplazado a su vez por el estado-nación británico, un imperio formal que comprendía las redes mundiales informales de negocios que, por su parte, fue reemplazado por los Estados Unidos, una potencia de dimensión continental, con su panoplia de corporaciones trasnacionales y sus extendidas y lejanas redes de bases militares casi permanentes en el extranjero. Cada sustitución fue marcada por una crisis de las organizaciones territoriales y no territoriales que habían dirigido la expansión en la etapa anterior. Pero fue marcada también por la emergencia de nuevas organizaciones con mayores capacidades que las organizaciones desplazadas para liderar el capitalismo mundial hacia una nueva expansión (Arrighi, 1994: 13-16, 74-84, 235-8, 330-1).

Por tanto, ha habido una crisis de los estados en cada expansión financiera. Como Robert Wade (1996) ha anotado, mucho de lo que se ha hablado recientemente de globalización y de la crisis del “estado-nación” simplemente es el reciclaje de argumentos que estuvieron de moda hace cien años (véase también Lie 1996: 587). Cada nueva crisis sucesiva, sin embargo, afecta a un tipo diferente de estado. Hace cien años la crisis de los “estados-nación” afectaba a los estados del viejo núcleo europeo en relación a los estados de dimensión continental que se estaban formando sobre el perímetro exterior del sistema eurocéntrico, en particular los Estados Unidos. El irresistible crecimiento del poder y la riqueza de los Estados Unidos, y del poder de la URSS (aunque, en este caso, no de su riqueza) en el curso de las dos guerras mundiales y sus secuelas posteriores, confirmó la validez de las expectativas ampliamente sostenidas de que los estados del viejo núcleo europeo estaban obligados a vivir en la sombra de los dos gigantes que les flanqueaban, a menos que ellos pudieran por sí mismos lograr una dimensión continental. La crisis actual de los “estados-nación”, en contraste, afecta a esos mismos gigantescos estados.

El súbito desplome de la URSS ha clarificado y, a la vez, oscurecido esta nueva dimensión de la crisis. Ha clarificado la nueva dimensión al mostrar cuan vulnerable había llegado a ser la potencia más extensa y más autosuficiente, y el segundo mayor poder militar del mundo, a las fuerzas de la integración económica global. Pero ha oscurecido la verdadera naturaleza de la crisis al provocar una amnesia general sobre el hecho de que la crisis del poder mundial de EEUU precedió al derrumbe de la URSS y ,con altibajos, ha continuado tras el final de la Guerra Fría. A fin de identificar la verdadera naturaleza de la crisis de los estados gigantes que han dominado en la era de Guerra Fría debemos distinguir esa crisis respecto del recorte a largo plazo de la soberanía nacional que la globalización del sistema de estados soberanos ha supuesto para todos, salvo para sus miembros más poderosos.

El principio de que los estados independientes, cada uno de los cuales reconoce la autonomía jurídica y la integridad territorial de los otros, deberían coexistir en un sistema político único se estableció por primera vez bajo la hegemonía holandesa con los Tratados de Westfalia. El proceso de globalización de la organización territorial del mundo de acuerdo a este principio, como señala Harvey (1995: 7), necesito varios siglos y una buena dosis de violencia para completarse. Más importante es que, como frecuentemente sucede con los programas políticos, la soberanía westfaliana llegó a ser universal mediante interminables violaciones de sus prescripciones formales y una gran metamorfosis de su significado sustantivo.

Estas violaciones y metamorfosis hacen evidentemente plausible la pretensión de Krasner de que, empíricamente, la soberanía westfaliana es un mito (1997). Sin embargo, a esto deberíamos agregar que no ha sido más mito que las ideas del imperio de la ley, del contrato social, de la democracia, sea liberal, social o cualquier otra cosa, y que, como todos estos otros mitos, ha sido un ingrediente clave en la formación y consiguiente globalización del moderno sistema de poder. La pregunta realmente más interesante, por lo tanto, no es si el principio westfaliano de soberanía nacional ha sido violado ni cómo lo ha sido. Más bien se trataría de si el principio ha orientado y limitado la acción estatal y cómo, con el paso del tiempo, el resultado de esta acción ha transformado el significado sustantivo de la soberanía nacional.

Cuando el principio de soberanía estatal fue establecido por primera vez, bajo la hegemonía holandesa, se utilizó para regular las relaciones entre los estados de Europa Occidental. Ese principio sustituyó la idea de una autoridad y una organización imperial-eclesiástica, que opera por encima de los estados objetivamente soberanos, por la idea de estados jurídicamente soberanos que confían en la ley internacional y en el equilibrio de poder para regular sus mutuas relaciones -en palabras de Leo Gross, “una ley que opera más bien entre los estados que por

encima de ellos y un poder que opera más bien entre los estados que por encima de ellos” (1968: 54-5). La idea se aplicó únicamente a Europa, que de esa manera se convirtió en una zona de “amistad” y comportamiento “civilizado” incluso en épocas de guerra. En contraste, el resto del mundo, más allá de Europa, se convirtió en una zona residual de comportamientos distintos, en la que no se aplicaban las normas de la civilización y donde los rivales podrían ser simplemente aniquilados (Taylor, 1991: 21-2).

Durante alrededor de 150 años después de la Paz de Westfalia el sistema funcionó muy bien, tanto asegurando que ningún estado singular llegara a ser tan fuerte como para dominar a todos los demás, como permitiendo a los grupos dominantes de cada estado consolidar su soberanía doméstica. En todo caso, el equilibrio de fuerzas se reprodujo mediante unas interminables series de guerras, crecientemente intensivas en capital, y mediante una extensión y profundización de la expansión europea en el mundo no europeo. A lo largo del tiempo, estas dos tendencias alteraron el equilibrio de poder tanto entre los estados como entre los grupos dominantes respectivos, provocando finalmente una quiebra del sistema de Westfalia como resultado de la Revolución francesa y las guerras napoleónicas (Arrighi, 1994: 48-52).

Cuando los principios de Westfalia se reafirmaron bajo la hegemonía británica, en las condiciones que resultaron de las guerras napoleónicas, su alcance geopolítico se extendió para incluir los estados coloniales de Norteamérica y Sudamérica que habían conseguido la independencia en la víspera o como resultado de las guerras francesas. Pero así como el alcance geopolítico de los principios de Westfalia se expandieron, su significado sustantivo cambió de manera radical, fundamentalmente porque el equilibrio de poder empezó a operar más por encima de los estados que entre ellos. Seguramente, el equilibrio continuó siendo operativo entre los estados continentales de Europa, donde durante la mayor parte del siglo diecinueve, el Concierto europeo de naciones y el cambiante sistema de alianzas entre los poderes continentales aseguró que ninguno de ellos llegara a ser tan fuerte como para dominar a todos los otros. Globalmente, sin embargo, el acceso privilegiado a los recursos extra-europeos permitió a Gran Bretaña actuar más bien como un gobernador que como una pieza de los mecanismos del equilibrio de poder. Además, los masivos ingresos tributarios procedentes de su imperio en la India permitieron a Gran Bretaña adoptar unilateralmente una política de libre comercio que, en grados variables, “enjaulara” a todos los otros miembros del sistema interestatal en una englobante división del trabajo mundial centrada en Gran Bretaña. Temporal e informalmente, pero sin duda efectivamente, el sistema de estados jurídicamente soberanos del siglo diecinueve era regido objetivamente por Gran Bretaña con la fuerza de sus englobantes redes mundiales de poder (Arrighi, 1994: 52 -5).

Mientras el equilibrio de poder durante los 150 años que siguieron a la Paz de Westfalia se reprodujo mediante una serie interminable de guerras, la dirección británica del equilibrio de poder posterior a la Paz de Viena produjo, en palabras de Polanyi, “un fenómeno sin precedentes en los anales de la civilización occidental: los cien años de paz [europea] comprendidos entre 1815 y 1914” (1957: 5). Esta paz, sin embargo, lejos de contener, dio un nuevo gran impulso a la carrera interestatal de armamentos y a la extensión y profundización de la expansión europea en el mundo no-europeo. Desde la década de 1840 en adelante, ambas tendencias se aceleraron rápidamente en un ciclo de autorrefuerzo por medio del cual los adelantos tecnológicos y en la organización militar se mantenían, y eran mantenidos, por la expansión económica y política a expensas de los pueblos y gobiernos todavía excluidos de los beneficios de la soberanía westfaliana (McNeill, 1982: 143).

El resultado de este ciclo autorreforzado fue lo qué William McNeill llama “la industrialización de la guerra”, un consiguiente nuevo salto importante en el coste humano y financiero de hacer la guerra, la emergencia de imperialismos competidores, y el colapso final del orden mundial británico del siglo diecinueve, conjuntamente con violaciones generalizadas de los principios westfalianos. Cuando estos principios fueron de nuevo reafirmados bajo la hegemonía de EEUU, después de la Segunda Guerra Mundial, su alcance geopolítico llegó a ser universal tras la descolonización de Asia y de Africa. Pero su significado se vio recortado adicionalmente.

La misma idea de un equilibrio de poder que opera entre los estados, más que por encima de ellos, y que asegura su igual soberanía real -una idea que había llegado a ser ya una ficción durante la hegemonía británica- fue desechada incluso como ficción. Como Anthony Giddens (1987: 258) ha observado, la influencia de EEUU sobre la formación del nuevo orden global, tanto con Wilson como con Roosevelt, “representó una tentativa de incorporación global de prescripciones constitucionales de EEUU más que una continuación de la doctrina del equilibrio de poder”. En una era de industrialización de la guerra y de centralización creciente de capacidades político-militares en poder de un número pequeño y menguante de estados, esa doctrina tenía poco sentido como descripción de las relaciones reales de poder entre los miembros del sistema interestatal globalizado, y no tenía más sentido como prescripción para garantizar la soberanía de los estados. La “igualdad de soberanía” sostenida en el primer párrafo del Artículo Dos de la Carta de las Naciones Unidas para todos sus miembros era así “especificamente imaginada para ser más bien legal que real -los grandes poderes tendrían derechos especiales, así como también deberes, proporcionados a sus superiores capacidades” (Giddens 1987: 266).

La santificación de estos derechos especiales en la Carta de Naciones Unidas institucionalizó, por primera vez desde Westfalia, la idea de una autoridad y organización supraestatal que restringiera jurídicamente la soberanía de todos salvo la de los estados más poderosos. Estas restricciones jurídicas, sin embargo, son pálidas en comparación con las restricciones objetivas impuestas por los dos estados más poderosos -los Estados Unidos y la URSS- sobre sus respectivas, y mutuamente reconocidas, “esferas de influencia”. Las restricciones impuestas por la URSS confiaron fundamentalmente en las fuentes del poder político-militar y tenían alcance regional, limitadas como estaban, a sus satélites europeos orientales. Al contrario, las impuestas por los Estados Unidos eran de alcance global y confiaban en un arsenal de recursos mucho más complejo.

La lejana y extensa red de bases semipermanentes en el extranjero mantenida por los Estados Unidos en la era de la Guerra Fría, en palabras de Krasner, “no tenía precedentes históricos; ningún estado había colocado anteriormente sus propias tropas sobre el territorio soberano de otros estados en una cantidad tan amplia durante un período de paz tan largo” (1988:21). Este régimen político-militar mundializado y globalizador, centrado en los Estados Unidos, complementó y fue complementado por el sistema monetario mundial, también centrado en Estados Unidos, instituido en Bretton Woods. Estas dos redes interconectadas de poder, una militar y otra financiera, permitieron a Estados Unidos asumir su hegemonía para regir el sistema globalizado de estados soberanos con un alcance que iba totalmente más allá del horizonte, no sólo de los holandeses del siglo diecisiete, sino también del imperio británico del siglo diecinueve.

En suma, la formación de complejos gubernamentales cada vez más poderosos, y capaces de conducir al sistema moderno de estados soberanos a su dimensión global actual, ha transformado también la misma estructura del sistema por una destrucción gradual del equilibrio de poder sobre la que descansó originalmente la igualdad de soberanía de las unidades del sistema. Así como la categoría jurídica de estado llegó a ser universal, la mayoría de los estados fueron privados de iure o de facto de las prerrogativas históricamente asociadas con la soberanía nacional. Incluso estados poderosos como el Japón y la antigua Alemania Occidental han sido descritos como “semisoberanos” (Katzenstein, 1987; Cumings, 1997). Y Robert Jackson (1990: 21) ha acuñado la expresión “cuasi-estados” para referirse a las ex-colonias que han conseguido categoría jurídica de estados pero carecen de las capacidades necesarias para efectuar las funciones gubernamentales tradicionalmente asociadas con la categoría de estado independiente. Semisoberanía y cuasi-estados son el resultado de las tendencias a largo plazo del moderno sistema mundial, ambos fenómenos claramente materializados antes de la expansión financiera global de las décadas de 1970 y 1980. Lo qué sucedió en esas décadas es que la capacidad de las dos superpotencias para regir las relaciones interestatales dentro, y a través, de sus esferas respectivas de influencia disminuyó frente a las fuerzas que ellos mismos habían desencadenado pero no pudieron controlar.

La más importante de estas fuerzas tuvo su origen en las nuevas formas de integración económica mundial, crecidas bajo el carapazón del poder militar y financiero de Estados Unidos. A diferencia de la integración económica mundial del siglo diecinueve, instituida y centrada en Gran Bretaña, el sistema de integración económica global, instituido y centrado en los Estados Unidos en la era de la Guerra Fría, no descansó sobre el comercio libre unilateral del poder hegemónico ni sobre la extracción de ingresos tributarios procedentes de un imperio territorial en el extranjero. Más bien, descansó sobre un proceso de comercio bilateral y multilateral liberalizado, estrechamente controlado y administrado por los Estados Unidos, actuando de forma concertada con sus aliados políticos más importantes, y sobre la base de un trasplante global de las estructuras orgánicas de integración vertical de las corporaciones norteamericanas (Arrighi, 1994: 69-72).

La liberalización administrada del mercado y el trasplante global de las corporaciones norteamericanas sirvieron para mantener y expandir el poder mundial de Estados Unidos, y para reconstituir relaciones interestatales capaces de contener, no sólo las fuerzas de la revolución comunista, sino también las fuerzas nacionalistas que habían desgarrado y finalmente destruido el sistema británico de integración económica global del siglo diecinueve. En la obtención de estos objetivos, como Robert Gilpin (1975: 108) ha resaltado en referencia a la política de Estados Unidos en Europa, el trasplante de las corporaciones norteamericanas al extranjero tuvo prioridad sobre la liberalización del mercado. Según el punto de vista de Gilpin, la relación de estas corporaciones de EEUU con el poder mundial fue parecido a la articulación de las compañías de flete al poder británico en los siglos diecisiete y dieciocho: “la corporación multinacional estadounidense, como sus ancestros mercantiles, ha desempeñado un papel importante en el mantenimiento y expansión del poder de los Estados Unidos” (1975: 141-2).

Esto es cierto, pero sólo hasta cierto punto. El trasplante global de las corporaciones norteamericanas mantuvo y expandió el poder mundial de los Estados Unidos, estableciendo derechos sobre rentas obtenidas en paises extranjeros y el control sobre los recursos de dichos paises. En última instancia, estos derechos y controles constituyeron la única diferencia importante entre el poder mundial de los Estados Unidos y el de la URSS y, por implicación, la única razón importante por la cual la declinación del poder mundial de EEUU, a diferencia del de la URSS, ha tenido lugar gradualmente en lugar de catastróficamente (para una madrugadora afirmación de esta diferencia, véase Arrighi, 1982: 95-7).

No obstante, la relación entre la expansión trasnacional de las corporaciones estadounidense y el mantenimiento y la expansión del poder estatal norteamericano ha tenido tanto de contradictorio como de complementario. Por una parte, los derechos sobre rentas extranjeras conseguidos por las filiales de corporaciones de EEUU no se tradujeron en un aumento proporcional en los ingresos de los residentes de EEUU ni en los ingresos tributarios del gobierno de Estados Unidos. Al contrario, precisamente cuando la crisis fiscal del estado del bienestar- estado militar de Estados Unidos llegó a ser agudo debido al impacto de la Guerra de Vietnam, una proporción creciente de las rentas y de la liquidez de las corporaciones norteamericanas, en lugar de ser repatriadas, volaron hacia los mercados monetarios “off-shore”. En palabras de Eugene Birnbaum, del Chase Mannhattan Bank, el resultado fue “la acumulación de un volumen inmenso de fondos líquidos y mercados -el mundo financiero del eurodólar- al margen de la autoridad reguladora de cualquier país o agencia” (citado por Frieden, 1987: 85; con cursiva en el original).

De forma interesada la organización del mundo financiero del eurodólar -como las organizaciones de la diáspora de negocios genovesa del siglo dieciséis y como la diáspora de los negocios chinos desde tiempos premodernos hasta nuestros días- ocupa lugares pero no se define por los lugares que ocupa. El auto-llamado mercado de eurodólares -como bien lo caracterizó antes de la llegada de las autopistas de la información Roy Harrod (1969: 319)- “no tiene sedes o edificios de su propiedad... Físicamente consiste solamente en una red de teléfonos y aparatos de telex alrededor del mundo, teléfonos que pueden usarse para otros propósitos además de los negocios sobre eurodólares”. Este “espacio de flujos” no se encuentra bajo ninguna jurisdicción estatal. Y aunque Estados Unidos tenga todavía algún acceso privilegiado a sus servicios y a sus recursos, este acceso privilegiado tiene el coste de una creciente subordinación de las políticas de EEUU a los dictados de las altas finanzas no territoriales.

Igualmente importante es que la expansión trasnacional de las corporaciones estadounidenses ha provocado, a partir de cierto momento, respuestas competitivas tanto de los viejos como nuevos centros de acumulación de capital, debilitados, y finalmente en retroceso, por las exigencias norteamericanas sobre rentas y recursos extranjeros. Como Alfred Chandler (1990: 615-16) ha indicado, desde el tiempo en que Servan-Schreiber llamó a sus seguidores europeos a responder al “desafío americano” -un desafío que según el punto de vista de Servan-Schreiber no era ni financiero ni tecnológico sino “la extensión a Europa de una organización que es todavía un misterio para nosotros”-, un número creciente de empresas europeas han encontrado formas y medios efectivos de responder al desafío y de iniciar sus propios desafíos, incluso en el mercado de EEUU, a la hegemonía de las corporaciones estadounidenses. En la década de 1970, el valor acumulado de la inversión directa extranjera no estadounidense (la mayor parte procedente de Europa Occidental) creció una vez y media más rápido que el de la inversión directa extranjera de Estados Unidos. Para los años 80, se estimó que había alrededor de 10.000 corporaciones trasnacionales de todos los origenes nacionales, y al comienzo de los 90 en torno a tres veces más (Stopford y Dunning, 1983: 3; Ikeda, 1996: 48).

Este explosivo crecimiento del número de corporaciones trasnacionales, fue acompañado por una disminución drástica en la importancia de los Estados Unidos como fuente de inversión directa extranjera, y por un aumento de su importancia como receptor de la misma. En otras palabras, las formas trasnacionales de organización de los negocios iniciadas por el capital de EEUU, habían dejado rápidamente de ser un “misterio” para un creciente gran número de competidores extranjeros. Para la década de 1970, el capital de Europa Occidental había descubierto todos sus secretos y había comenzado a competir de nuevo con las corporaciones de EEUU en casa y en el extranjero. Para los años 80, llegó el turno del capital del Este de Asia para competir nuevamente con el capital estadounidense y europeo-occidental, lo cual hizo mediante la formación de un nuevo tipo de organización comercial trasnacional -una organización que se arraigó profundamente en las virtudes de la historia y de la geografía de la región, y que combinó las ventajas de la integración vertical con la flexibilidad de las redes informales de negocio (Arrighi, Ikeda e Irwan, 1993).

Lo importante no es cual es la fracción particular de capital vencedora, sino que el resultado de cada ronda de la pugna competitiva fue un aumento adicional en el volumen y densidad de la red de intercambios que conectaba pueblos y territorios, atravesando jurisdicciones políticas tanto regional como globalmente. Esta tendencia ha supuesto una contradicción fundamental para el poder global de los Estados Unidos -una contradicción que se ha agravado en lugar de mitigarse tras el colapso del poder soviético y el consiguiente final de la Guerra Fría. Por una parte, el gobierno de los Estados Unidos ha quedado apresado en su inaudita capacidad militar global que, tras el desplome de la URSS, no tiene paralelo. Estas capacidades continúan siendo necesarias, no tanto como una fuente de “protección” para los negocios estadounidenses en el extranjero, sino sobre todo como la fuente principal del liderazgo del EEUU en alta tecnología tanto en su propio país como en el extranjero. Por otra parte, la desaparición de la “amenaza” comunista ha hecho aun más difícil de lo que ya lo era para el gobierno de los Estados Unidos el movilizar los recursos humanos y financieros necesarios para que su capacidad militar esté en disposición de uso efectivo, o simplemente para mantenerla. De aquí derivan las divergentes valoraciones sobre el alcance real del poder global norteamericano en la era posterior a la guerra fría.

“Ahora es el momento de la unipolarización”, se pavonea un comentarista triunfalista. “No hay sino un poder de primera clase y no hay ninguna perspectiva en el futuro inmediato de un poder que pueda rivalizar con él”. Pero un alto funcionario de la política exterior objeta: “sencillamente, no tenemos la fuerza precisa, no tenemos la influencia, ni la inclinación para el uso de la fuerza militar. No tenemos el dinero necesario para poder realizar el tipo de presión que producirá resultados positivos dentro de poco tiempo” (Ruggie, 1994, 553).

III La auténtica peculiaridad de la fase actual de expansión financiera del capitalismo mundial se encuentra en la dificultad de proyectar los modelos evolutivos pasados hacia el futuro. En todas las expansiones financieras pasadas, los viejos centros organizadores del poder declinante eran alcanzados por un poder ascendente, el de nuevos centros organizadores capaces de sobrepasar el poder de sus predecesores no sólo financiera sino también militarmente. Esto fue el caso de los holandeses respecto a los genoveses, de los británicos respecto a los holandeses y de los norteamericanos en relación a los británicos.

En la actual expansión financiera, en contraste, el declinante poder de los viejos centros organizadores no se ha asociado mediante una fusión en un orden superior, sino con una escisión entre poder militar y financiero. Mientras el poder militar se ha centralizado aún más en manos de los Estados Unidos y de sus más estrechos aliados occidentales, el poder financiero se ha llegado a dispersar entre un conjunto multicolor de organizaciones territoriales y no territoriales que, de facto o de iure, no pueden ni remotamente aspirar a alcanzar las capacidades militares globales de los Estados Unidos. Esta anomalía señala una ruptura fundamental con el modelo evolutivo que ha caracterizado la expansión del capitalismo mundial durante los últimos 500 años. La expansión a través de la trayectoria establecida se encuentra en un “impasse” -un “impasse” que se refleja en la generalizado sensación de que la modernidad e incluso la historia está llegando a su final, que hemos entrado en una fase de turbulencia y caos sistémico sin precedentes en la era moderna (Rosenau, 1990: 10; Wallerstein, 1995: 1, 268), o que una “niebla global” ha descendido sobre nosotros para cegarnos en nuestro camino hacia el tercer milenio (Hobsbawm 1994: 558-9). Mientras el “impasse”, la turbulencia y la niebla son totalmente verdaderas, una mirada más cercana a la extraordinaria expansión económica del Este de Asia (que de aquí en adelante entenderemos que incluye el sudeste asiático) puede proporcionar algunas enseñanzas sobre el auténtico nuevo tipo de orden mundial que puede emerger en los márgenes del caos sistémico que se avecina.

En un reciente análisis comparativo de tasas de crecimiento económico desde la mitad de la década de 1870, el Union Bank de Suiza no encontró “nada comparable con la experiencia de crecimiento económico de Asia [del Este de Asia] durante las tres últimas décadas”. Otras regiones crecieron tan rápidamente durante las trastornos de épocas de guerra (por ejemplo, Norteamérica durante la Segunda Guerra Mundial) o después de tales trastornos (por ejemplo, Europa Occidental después de la Segunda Guerra Mundial). Pero “las tasas de crecimiento de la renta anual por encima del ocho por ciento obtenidas por numerosas economías asiáticas [del sudeste asiático] desde el final de los años sesenta no tienen precedentes en 130 años de historia económica documentada”. Este crecimiento es aún más notable por haberse registrado a la vez que en el resto del mundo se producía un total estancamiento, o estaba cerca del estancamiento, y por haberse “propagado como una ola” desde Japón a los Cuatro Tigres (Corea del Sur, Taiwan, Singapur y Hong Kong), y de allí a Malasia y Tailandia, y después a Indonesia, China y, más recientemente, a Vietnam (Union Bank of Switzerland, 1996: 1).

Incluso más impresionantes aún han sido los avances del Este de Asia en el campo de las altas finanzas. La participación japonesa en el total de activos de los cincuenta mayores bancos del mundo según la clasificación de Fortune se incrementó desde el 18% en 1970, hasta el 27% en 1980 y el 48% en 1990 (Ikeda, 1996). Por reservas en divisas, la participación del Este de Asia en los diez mayores holdings bancarios se incrementó del 10% en 1980 al 50% en 1994 (Japan Almanac, 1993 y 1997). Resulta claro que si los Estados Unidos no tienen “el dinero necesario para poder realizar el tipo de presión que producirá resultados positivos” -como previsoramente deploraba el alto responsable de la política exterior de EEUU-, los estados del Este de Asia, o al menos algunos de ellos, tienen todo el dinero necesario para ser inmunes al tipo de presión que está llevando a los estados de todo el mundo -incluidos los Estados Unidos- a someterse a los dictados de la creciente movilidad y volatilidad del capital (véase la sección II).

Irónicamente, esta altamente significativa, aunque parcial, inversión de la suerte de los Estados Unidos por una parte, y de los estados del este asiático por otra, se originó por las mayores injerencias de Estados Unidos sobre la soberanía de los estados del este asiático desde el inicio de la Guerra Fría. La ocupación militar unilateral de Japón en 1945 y la división de la región como consecuencia de la Guerra de Corea en dos bloques antagónicos crearon, en palabras de Bruce Cumings unos proamericanos “regímenes verticales solidificados mediante tratados bilaterales de defensa (con Japón, Corea del Sur, Taiwan y Filipinas) y dirigidos por un Departamento de Estado que dominaba sobre los ministerios de asuntos exteriores de estos cuatro paises”.

Todos se convirtieron en estados semisoberanos, profundamente penetrados por las estructuras militares de EEUU (control operativo sobre las fuerzas armadas surcoreanas, la Séptima Flota patrullando por los istmos de Taiwan, dependencias de defensa para estos cuatro paises, bases militares en sus territorios) e incapaces de una política exterior independiente o de tomar iniciativas de defensa...Así, hubo menores relaciones a través del telón militar iniciado a mitad de las década de los años cincuenta, así como bajos niveles de intercambio comercial entre Japón y China, o Japón y Corea del Norte. Pero la tendencia dominante hasta la década de 1970 fue un régimen unilateral americano fuertemente predispuesto hacia formas militares de comunicación. (Cumings, 1997: 155)

Dentro de este “régimen unilateral americano” Estados Unidos se especializó en proporcionar protección y en perseguir el poder político regional y global, mientras sus estados-vasallos del este asiático se especializaban en el comercio y en la obtención de ganancias. Esta división del trabajo ha sido par-ticularmente importante en las relaciones norteamericano-japonesas configuradas a lo largo de la era de la guerra fría y hasta el presente. Como Franz Schurmann (1974: 143) escribió, cuando el espectacular ascenso económico de Japón apenas acababa de comenzar, “liberados de la carga de los gastos de defensa, los gobiernos japoneses han encauzado todos sus recursos y energías hacia un expansionismo económico que consigue atraer riqueza a Japón y extender sus negocios a los más lejanos lugares del globo”. La expansión económica de Japón, a la vez, generó un proceso de “bola de nieve” que concatenó la búsqueda de oportunidades de inversión en la región circundante, con el gradual reemplazamiento del patronato de EEUU como fuerza impulsora principal de la expansión económica del Este de Asia (Ozawa, 1993: 130-1; Arrighi, 1996: 14-16).

Con el tiempo este proceso de bola de nieve despegó, el régimen militarista de Estados Unidos en el Este Asia había comenzado a descomponerse, ya que la Guerra de Vietnam destruyó lo qué la Guerra de Corea había creado. La Guerra de Corea había instituido el régimen proamericano del Este de Asia que excluía a China continental del intercambio normal comercial y diplomático con la parte no comunista de la región, mediante el bloqueo y las amenazas de guerra respaldadas por “un archipiélago de instalaciones militares estadounidenses” (Cumings, 1997: 154-5). La derrota en la Guerra de Vietnam, por el contrario, forzó a los Estados Unidos a permitir a China continental el intercambio normal comercial y diplomático con el resto del Este de Asia, ensanchándose de esa manera el alcance de la expansión e integración económica de la región (Arrighi, 1996).

Este resultado transformó, sin eliminarla, la previa desproporción de la distribución de las fuentes de poder en la región. El ascenso de Japón a potencia industrial y financiera de importancia global transformó la previa rela-ción de vasallaje de la política y economía japonesa con los Estados Unidos en una relación de mutuo vasallaje. Japón continuó dependiendo de los Estados Unidos para la protección militar; pero la reproducción del aparato productivo y protector norteamericano vino a depender incluso más críticamente de la industria y finanzas japonesas. A la vez, la reincorporación de China continental a los mercados regio-nales y globales devolvió al juego a un estado cuyo tamaño demográfico, abundancia de recursos laborales y crecimiento potencial sobrepasaba por un amplio margen al de todos los otros estados que operan en la región, incluidos los Estados Unidos. Menos de veinte años después de la misión de Richard Nixon en Beijing, y menos de quince después del restablecimiento de rela-ciones diplomáticas entre los Estados Unidos y la República Popular China (RPC), este gigantesco “contenedor” de capacidad laboral ya parece dispuesto a llegar a ser nuevamente el poderoso atraedor de fondos que había sido antes de su incorporación subordinada en el sistema mundial eurocéntrico.

Si el atractivo principal de la RPC para el capital extranjero han sido sus reservas enormes y ultracompetitivas de trabajo, el “casamentero” que ha facilitado el encuentro del capital extranjero capital y el trabajo chino es la diáspora capitalista de los chinos en el exterior.

Atraídos por la capacidad de China como fuente de trabajo a bajo coste, y por su potencialidad creciente como un mercado que contiene la quinta parte de la población mundial, los inversores extranjeros continúan vertiendo dinero en la RPC. Alrededor del 80% de ese capital procede de los chinos del exterior, refugiados por la pobreza, el desorden y el comunismo, que de ser objeto de las más picantes ironías han pasado a ser ahora los financiadores favoritos de Beijing y modelos para la modernización. Incluso los japoneses frecuentemente confían en los chinos en el exterior para engrasar su camino hacia China. (Kraar, 1994: 40)

De hecho, la confianza de Beijing en los chinos del exterior para facilitar la reincorporación de China continental en los mercados regionales y mundiales no es la auténtica ironía de la situación. Como Alvin So y Stephen Chiu (1995: cap. 11) han mostrado, la estrecha alianza política que se estableció en la década de 1980 entre el Partido Comunista Chino y los capitalistas chinos del exterior tenía un perfecto sentido desde el punto de vista de sus respectivos objetivos. La alianza facilitó a los chinos del exterior oportunidades extraordinarias de beneficiarse de la intermediación comercial y financiera, mientras facilitó al Partido Comunista Chino unos medios altamente efectivos para matar dos pájaros de un tiro: para mejorar la economía doméstica de China continental y, a la vez, para promover la unificación nacional de acuerdo con el modelo “una nación, dos sistemas”.

La auténtica ironía de la situación es que uno de los legados más sobresalientes de siglo diecinueve, las invasiones occidentales sobre la soberanía china, emerge ahora como un instrumento poderoso de la emancipación china y del este asiático respecto del dominio occidental. La diáspora china fue durante largo tiempo un componente integral del tributo indígena del Este de Asia al sistema comercial dominado por la China imperial. Pero las mayores oportunidades para su expansión vinieron con la incorporación subordinada de ese sistema dentro de las estructuras del sistema mundial eurocéntrico como resultado de las Guerras del Opio. Bajo el régimen americano de la Guerra Fría, el papel tradicional de la diáspora como intermediario comer-cial entre la China continental y las regiones marítimas de circunvalación fue ahogado, tanto por el embargo norteamericano sobre el comercio con la RPC, así como por las restricciones de la RPC sobre el comercio interior y exterior. No obstante, la expansión de las redes estadounidenses de poder y de las redes japonesas de negocio en las regiones marítimas del Este de Asia, proveyeron a la diáspora de una gran abundancia de oportunidades de ejercer nuevas formas de intermediación comercial entre estas redes y las redes locales que controla. Y como las restricciones sobre el comercio con China, y en el interior de la RPC, se relajaron, la diáspora rápidamente surgió como la única y más poderosa agencia de la reunificación económica de la economía regional del este asiático (Hui, 1995).

Es demasiado pronto para decir qué tipo de formación económico-política surgirá finalmente de esta reunificación y hasta donde puede llegar la rápida expansión económica de la región del este asiático. Por lo que sabemos, el ascenso actual del Este de Asia hasta llegar a ser el mayor centro dinámico de los procesos de acumulación capital a escala mundial, puede muy bien ser el preámbulo a un “recentramiento” de las economías regionales y mundiales sobre China, como estuvieron en tiempos premodernos. Pero sin saber lo que realmente sucederá o no, los aspectos principales del continuo renacimiento económico del este asiático son suficientemente claros como para proporcionarnos algunas señales de su probable futura trayectoria y de sus implicaciones para la economía global en su conjunto.

En primer lugar, el renacimiento es tanto el producto de las contradicciones de la hegemonía mundial norteamericana como de la herencia geohistórica del Este de Asia. Las contradicciones de la hegemonía mundial norteamericana conciernen primariamente a la dependencia del poder y la riqueza estadounidense respecto a una forma de desarrollo caracterizada por los altos costes de reproducción y de protección -esto es, sobre la formación de un mundo que comprende, por un lado, un aparato militar intensivo en capital y, por otra parte, la difusión de despilfarradores e insostenibles modelos de consumo masivo. En ninguna parte han sido estas contradicciones más evidentes que en el Este de Asia. Las guerras de Corea y de Vietnam no solo revelaran los límites del poder real poseído por el estado de bienestar-estado militar norteamericano. Igualmente importante es que, cuando esos límites se estrecharon y se aflojaron, en dicha evolución los altos costes de reproducción y de protección comenzaron a producir resultados decrecientes y a desestabilizar el poder mundial estadounidense. Mientras tanto, la herencia geo-histórica del este asiático, sus bajos costes comparativos de protección y de reproducción, dieron a los gobiernos de la región y a sus agencias de negocios una ventaja competitiva decisiva en una economía global más estrechamente integrada que antes. No se sabe si esta herencia se conservará. Pero por ahora la expansión asiática oriental ha sido el “vehículo tendedor de vías” para una trayectoria de desarrollo mucho más económica y sostenible que la trayectoria estadounidense.

En segundo lugar, el renacimiento se ha asociado con una diferenciación estructural del poder en la región que ha dejado a los Estados Unidos el control de la mayoría de los revólveres, a Japón y a la China exterior el control de la mayoría del dinero, y a la RPC el control de la mayoría del trabajo. Esta diferenciación estructural -que no tener precedentes en las anteriores transiciones de hegemonía- hace sumamente inverosímil que ningún estado de los que operan en la región, los Estados Unidos incluidos, adquiera por si solo las capacidades necesarias para llegar a ser hegemónico regional y globalmente. Sólo una pluralidad de estados, actuando concertadamente entre sí, tiene alguna oportunidad de generar un nuevo orden mundial basado en el Este de Asia. Esta pluralidad pudiera incluir a los Estados Unidos y, en todo caso, las políticas estadounidenses hacia la región permanecerán como un factor importante, entre otros, en la determinación de si surgirá realmente, y cuándo y cómo, tal nuevo orden mundial basado en el Este de Asia.

En tercer lugar, el proceso de integración y expansión económica de la región del este asiático es un proceso estructuralmente abierto al resto de la economía global. En parte, esta apertura es una herencia de la naturaleza intersticial de un proceso que se desarrolla en relación con las redes de poder de los Estados Unidos. En parte, se debe al importante papel jugado por las redes informales de negocios con ramificaciones a lo largo de la economía global en la promoción de la integración de la región. Y en parte, se debe a la dependencia continua del Este de Asia de otras regiones de la economía global para obtener materias primas, alta tecnología y productos culturales. Los fuertes conexiones delanteras y traseras que conectan la economía regional asiática oriental al resto del mundo es un buen augurio para el futuro de la economía global, siempre que la expansión económica de Este de Asia no sea llevada a un fin prematuro por los conflictos internos, la mala administración, o la resistencia estadounidense a la pérdida de poder y prestigio, aunque no necesariamente de riqueza y bienestar, que acarrearía el recentramiento de la economía global sobre el Este de Asia.

Finalmente, el ensamblaje de la integración y expansión económica del Este de Asia con su herencia geohistórica significa que el proceso no puede duplicarse en otra parte con resultados igualmente favorables. La adaptación al emergente liderazgo económico del este asiático sobre la base de la herencia geohistórica propia de cada región más que los equivocados intentos de repetir la experiencia del este asiático fuera de contexto o los, aun más equivocados, intentos de reafirmar la supremacía occidental en base a una defectuosa evaluación del poder real que posee el complejo militar-industrial de Estados Unidos- es el curso de acción más prometedor para el resto de los estados. Por supuesto, un asunto totalmente distinto es si se trata de una expectativa realista.

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