Aujourd'hui, le 25 février 2018, j'ai prêché dans un temple des Cévennes, dans une ville appelée Vallerauges, au milieu des montagnes. Le temple a 500 ans. C'est un temple huguenot qui abrite une église méthodiste. Je remercie Dieu pour son affection. Imaginez comment Naira et moi étions heureux.
Notre
mission est une mission radicale
Texte
« Mais lui, voulant montrer sa
justice, dit à Jésus : « Et qui est mon
prochain ? » Jésus reprit : « Un homme descendait de
Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de
coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. Il se trouva qu’un
prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne
distance. Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et
passa à bonne distance. Mais un Samaritain qui était en voyage arriva
près de l’homme : il le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha,
banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre
monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui. Le lendemain,
tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit :
“Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te
le rembourserai quand je repasserai.” Lequel des trois, à ton avis, s’est
montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les
bandits ? » Le légiste répondit : « C’est celui qui a
fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va et, toi
aussi, fais de même. » Luc
10.29-37.
À propos d’ouverture.
Cette parabole est certainement une des plus célèbres
de tout l’évangile. Nous ne parlerons pas en détail mais c’est d’elle que nous
partirons pour traiter le thème qui nous a été proposé, au moins dans sa
première partie. Vous vous souvenez que la question dont tout part est celle
qui est posée par un spécialiste de la Loi : « Maître, que dois-je faire pour
hériter la vie éternelle ? » La question n’était pas parfaitement sincère
puisqu’il nous est précisé qu’elle était posée « pour mettre Jésus à l’épreuve
». Hériter la vie éternelle : nous sommes bien ici dans le registre de la
piété.
Et Jésus renvoie celui qui l’interroge à la
Loi : « Qu’est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? » (Quelle interprétation
donnes-tu toi-même de cette loi que tu reçois comme ton autorité ?). Et le
spécialiste de la Loi répond en citant des paroles de la Loi : « Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de
toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même » (Deutéronome 6.5 ; Lévitique
19.18). Est-ce vraiment lui qui a rassemblé ces deux textes de la Loi ou
avait-il entendu Jésus le faire ? Car, dans les autres évangiles, c’est Jésus
qui donne ce résumé de la Loi. Toujours est-il que Jésus accepte pleinement
cette réponse et en félicite même cet homme : « Tu as bien répondu ; fais cela
et tu vivras ».
Mais le but étant de mettre Jésus en
difficulté, l’homme pose une autre question : « Et qui est mon prochain ? »
Excellente question que nous nous posons souvent. On pourrait la formuler
autrement : jusqu’où doivent aller mon amour et ma solidarité avec les autres ?
À partir de quand puis-je, de façon légitime, cesser d’aimer ? Quelles sont les
limites de ce commandement d’amour : ma famille, mes proches, mon peuple,
certains peuples alliés ? Et c’est cette question qui va ouvrir la porte à la
parabole elle-même.
Vous vous rappelez certainement : Un homme
passe sur la route qui va de Jérusalem à Jéricho et se fait agresser. Les
bandits lui prennent tout, le rouent de coups et le laissent à moitié-mort.
Plusieurs personnes vont passer sur la route et ne rien faire : un prêtre et un
lévite, des gens très bien. Vient un samaritain qui s’arrête, prend soin de
lui, l’amène jusqu’à l’hôtellerie la plus proche et va jusqu’à payer pour qu’on
s’occupe de lui en affirmant même que si cela ne devait pas suffire, il est
prêt à prendre en charge la suite.
Peut-être sommes nous trop habitués à entendre
et à lire cette parabole pour pouvoir la recevoir comme les auditeurs de Jésus
l’ont reçue. Tout le monde, bien sûr, est juif : Jésus et ceux qui l’écoutent.
Or, les deux personnes qui donnent le « mauvais exemple » sont tous deux des
religieux juifs. Quant au samaritain, il est, pour ceux qui entourent Jésus, à
la fois un hérétique - pire qu’un païen, puisqu’il a une certaine connaissance
de la révélation - et une sorte de personne impure. Vous rappelez que les juifs
faisaient parfois de longs détours pour éviter de se souiller en passant par la
Samarie.
S’il fallait retrouver un peu l’impact de la
parabole, nous pourrions dire que les deux personnes qui passent sans rien
faire à côté de celui qui a été agressé et laissé sur le bord de la route sont
un pasteur et un prof de théologie évangéliques et que notre samaritain est un
musulman maghrébin. Vous imaginez que Jésus fait alors éclater la question de
la limite. Il n’y a pas de limite. Il ne s’agit plus de savoir qui est mon
prochain et qui ne l’est pas, mais comment puis-je être le prochain de celui -
quel qu’il soit - qui est dans le besoin. Donc, inséparable de l’amour de Dieu,
nous trouvons un amour du prochain qui est concret, courageux et qui ne connaît
pas de limites.
La « mission radical » : un
terme neuf pour qualifier aujourd’hui notre responsabilité de chrétiens dans ce
monde. Un terme neuf pour une réalité ancienne, qui remonte à la mission même
de Jésus et au message de l’ensemble de la Bible. C’est au sein de l’Alliance
théologique d’Amérique latine, que ce terme est né. Il s’agit d’une
compréhension renouvelée de la mission chrétienne qui englobe la proclamation
de l’Evangile par la parole et sa démonstration par notre engagement dans tous
les aspects sociaux et politiques de la vie.
Le mot n’est pas dans la Bible, bien
entendu... pas plus que ceux de « mission » et
d’« évangélisation », qui est l’héritage d’une histoire
« des » missions, dans laquelle la mission chrétienne consistait à
quitter l’Occident « chrétien », à traverser des frontières pour
porter l’Evangile dans des pays « païens ». Comme le relève un
théologien indien (Vinoth Ramachandra), « ce concept, malgré ses
faiblesses, a inspiré des milliers de missionnaires transculturels qui ont
écrit quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de l’Eglise ».
Mais cette vision réductrice de « la mission » était porteuse de
dichotomies néfastes : entre Eglise d’envoi et Eglise d’accueil, entre ici
et champ missionnaire, entre missionnaires et chrétiens ordinaires, entre vie
de l’Eglise ici et mission au loin.
1. Notre fidélité à Dieu.
Vous comprenez que nous sommes déjà dans notre
sujet. Notre fidélité à Dieu implique un amour dévoué à celui ou à celle qui
est dans le besoin, que cette personne nous soit proche ou, comme dans la
parabole, qu’elle nous soit à tous égards étrangère.
Maintenant, si vous le permettez, je voudrais
continuer la parabole. Nous ne sommes plus, je le reconnais, sur le terrain
direct de ce que la Bible dit elle-même, mais sur celui de son interprétation.
Imaginons que l’histoire continue.
Le lendemain, un autre voyageur se fait
agresser et n’a pas la chance de trouver ce bon samaritain qui, lui, a continué
son voyage. Quelques jours plus tard, la même chose se produit. Que faire ? Si
l’on veut suivre l’enseignement de Jésus et pratiquer cet amour concret,
pratique et courageux, ne faudra-t-il pas essayer de résoudre la question de
manière plus large ? Nous entrerons alors dans une dimension plus vaste. Nous
passerons d’amour individuel à l’action sociale, voire politique. La motivation
profonde sera exactement la même, mais cherchera à prévenir le problème plutôt
que de soigner les blessures des voyageurs agressés. Ce passage de l’action
individuelle et ponctuelle à une action plus large, collective et générale nous
pose peut-être quelques problèmes. Nous ne sommes pas les seuls. Cela me
rappelle une phrase de dom Helder Camara qui fut archevêque au Brésil. Il
disait : « Quand je soulage la faim des pauvres, on dit que je suis un saint.
Quand je demande pourquoi ils ont faim, on m’accuse d’être communiste ! » C’est
que l’action peut parfois nous paraître suspecte et surtout aujourd’hui, où le politicien
on si mauvaise presse et où nous sommes devenus si sceptiques devant tout
action collective.
2. L’exigence de justice.
Il nous faudrait pourtant relire notre Bible.
Dans le livre du prophète Jérémie, il est conseillé aux déportés de rechercher
la paix de la ville où ils ont été exilés (29.7). Cette recherche implique la
prière mais elle va bien au-delà. Et rappelez-vous le nombre de passages de la
Loi ou des prophètes qui nous invitent ou qui invitent les rois ou les
puissants à la justice. Le prophète Amos n’y allait pas par quatre chemins pour
dénoncer les riches qui oppressent les pauvres et détournent la justice. Et
c’est à la lumière de ces critiques que nous devons entendre l’exhortation bien
connue du prophète Michée : « On t’a fait connaître, ô homme ce qui est bien et
ce que le Seigneur exige de toi : rien d’autre que respecter la justice, aimer
la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu » (Michée 6.8).
La justice n’est pas fondamentalement
différente de l’amour. Elle est la forme qui l’amour prend dès qu’il s’agit de
plusieurs personnes. Lorsque qu’une seule personne est en face de nous, il nous
est demandé de l’aimer. Mais lorsque nous sommes en présence de plusieurs et
que les uns exploitent les autres ou les trompent, ce qui est attendu de nous,
c’est la justice, l’équité. Il est clair que, dans l’ancienne comme dans la
nouvelle alliance cette justice est au cœur du comportement chrétien dans la
société et donc à la source de l’aspect de notre témoignage qui nous intéresse
aujourd’hui.
"Je ne vous appelle plus serviteurs, parce qu’un serviteur n’est pas mis au courant des affaires de son maître. Je vous appelle mes amis, parce que je vous ai fait part de tout ce que j’ai appris de mon Père. 16Ce n’est pas vous qui m’avez choisi. Non, c’est moi qui vous ai choisis ; je vous ai donné mission d’aller, de porter du fruit, du fruit qui soit durable. Alors le Père vous accordera tout ce que vous lui demanderez en mon nom". Jean 15.15-16.
3. Les lignes directrices.
Je voudrais citer trois principes, tirés de
l’Écriture, qui me semblent essentiels pour qu’un engagement dans la société
puisse être considéré dans une perspective chrétienne.
A. La valeur de la personne.
Tout être humain est créé à l’image de Dieu et
c’est ce qui lui donne, dès la première alliance, sa dignité (Genèse 9.6, cf.
Jc 3.9). Mais la nouvelle alliance nous révèle plus encore l’amour de Dieu pour
chaque être humain. Il ne s’agit pas d’abord de peuples, de nations, de classes
ou de races, mais de la personne et de
toute personne. C’est elle qui doit être la fin véritable de toute politique.
Trop souvent, les lois de l’histoire ou de l’économie ont en la priorité et
continuent de le faire. L’intérêt suprême du peuple idéal a pris le pas sur
celui des hommes et des femmes réels qui ont été sacrifiés. Ou encore le bien
de la personne d’après-demain a justifié l’oppression de celle d’aujourd’hui.
Que devons nous placer en tête de nos valeurs : les lois de l’économie ou le
bien des personnes ?
B. L’attention particulière aux petits et aux
pauvres.
Cette priorité que l’on retrouve si souvent
dans toute l’Écriture n’a pas pour fondement une vision romantique du pauvre
qui serait supposé meilleur que le riche. Mais le pauvre est justement la
personne dont la dignité ne s’impose pas. S’il faut prêter une attention
particulière à la veuve et à l’orphelin, c’est parce qu’ils sont sans défense.
Ils ont besoin de plus d’attention, car il est tentant et facile de les laisser
de côté. Il n’est pas nécessaire de beaucoup d’imagination pour appliquer ce
principe à nos société actuelles, aux pauvres de notre pays qui ne sont plus
défendus par personne ou à ceux des pays du tiers-monde qui sont eux-mêmes, en
tant que nations, dans cette situation d’extrême vulnérabilité.
C. La recherche de la justice.
Prêter attention à la personne vulnérable, ce
ça le minimum de l’amour et son application concrète en ce qui concerne une
société. Toute la révélation ne cesse de proclamer son importance. Cette
recherche repose directement sur ce que nous venons de dire. La justice se
mesure avant tout par le traitement réservé à ceux qui sont pauvres et sans
défense. Nous avons tous un sens inné de la justice lorsqu’il nous semble que
nous sommes victimes d’injustice. Mais nous sommes sujets à une étrange
paralysie de ce même sens de la justice lorsqu’il va à l’encontre de nos
intérêts immédiats ou simplement de notre confort. Nous aurons l’occasion de
revenir sur ce point.
Quand nous pensons dans la justice, nous nous
devons faire une question : est-ce que le chrétien est appelé à rechercher
dans le domaine politique, pour le bien d’une communauté concrète, pas le
Royaume ? Une communauté d’hommes et de femmes, aimés de Dieu et pécheurs,
imparfaits et infiniment respectables. Se faire des illusions et ne pas tenir
compte de la réalité conduite au mieux à des échecs, au pire à des drames. Il
est toujours étonnant de voir avec quel réalisme les personnages les plus
importants de la Bible nous sont présentés. Il n’y a aucune idéalisation même
des plus grands hommes ou des plus grandes femmes de Dieu ; leurs faiblesses et
leurs fautes sont aussi clairement présentées que ce qu’ils peuvent avoir de
meilleur. Il est capital que ce réalisme demeure lorsque nous cherchons des
solutions aux problèmes de nos sociétés.
Considération finale.
Une mission … radicale. Voilà
quelques principes bibliques qui me semblent devoir baliser notre comportement
dans ce monde. Il est clair qu’ils ne répondent pas à tous les problèmes et à
toutes les questions que nous pourrons avoir, mais ils sont le socle sur lequel
nous pouvons essayer de construire. Il n’y a là, au fond, rien de plus que le
développement pratique de l’amour du prochain. Au moins d’une forme de ce
développement. L’annonce explicite de l’Évangile en est une autre, de même que
l’édification de communautés qui sont autant de lumières dans le monde. Mais
précisément, nos communautés ne sont et ne seront des lumières dans ce monde
que si elles essaient de manifester toutes les dimensions de la bonne nouvelle
de l’amour de Dieu dont elles vivent.
C’est cette idée d’une mission qui se situe en
tous lieux, dans toutes nos activités, et dans la mise
en pratique de tout ce que
Jésus nous a enseigné, qui est à la base de l’idée de mission radical. Cet accent sur la globalité
de la mission se conclut dans le texte de Matthieu par la promesse du
ressuscité : « Et voici, je suis avec vous tous les jours » (Mathieu 28.20).
Prendre en compte cette globalité des
exigences de l’Evangile – qui mettent en lumière le lien constamment rappelé
dans l’Ancien Testament entre respect de Dieu et respect de la justice sociale
– représente un défi majeur dans notre monde globalisé d’aujourd’hui. L’annonce
de l’Evangile n’a rien perdu de sa pertinence, mais ne nous dispense en rien de
notre responsabilité face aux injustices criantes du monde, face aux ravages
humains et environnementaux d’un développement basé sur le profit, face aux
conflits qui continuent de déchirer notre monde. Telle est notre mission de
chrétiens et d’Eglises, appelés à être pleinement engagés dans les affaires du
monde, dans l’humilité et dans l’espérance que nous donne l’Evangile.
Ce pourquoi Jésus dit :
-- « Mon ami, va
et toi aussi fais de même ».